La Violente Amour
j’entendis mieux le dessein, quand
Rosny m’apprit que le roi allait lever le siège de sa capitale, et ayant mené
le corps du défunt roi à Compiègne (ne le pouvant enterrer à Saint-Denis qui
était aux mains des ligueux) se retirerait ensuite avec ses troupes à Dieppe,
où il savait qu’il serait bien reçu des manants et habitants, tant pour s’y
remparer contre Mayenne qui rassemblait contre lui une immense armée que pour
assurer ses liaisons par mer avec Elizabeth, dont il attendait subsides et
secours, la reine d’Angleterre ayant tant d’intérêt à ce qu’Henri IV ne
succombât point sous les coups de la Ligue et de Philippe II, sachant bien
qu’elle serait alors la plus proche cible et victime en ce mortel combat du
papisme contre « l’hérésie ».
Comme M. de
Rosny m’allait quitter, je voulus savoir de lui pourquoi le 3 août il
n’avait pas conseillé au roi de se convertir, n’ignorant pas que tout ferme
huguenot qu’il fût lui-même, Rosny tenait pour la conversion du souverain,
n’estimant point possible qu’un prince huguenot pût raisonnablement régner sur
un « nombre infini » de catholiques.
— Ha !
dit Rosny, c’est trop tôt ! Et le roi est encore trop faible ! S’il
abjurait de présent, il serait en grand hasard de perdre son parti sans être
assuré d’en retrouver un autre ! Ramentez-vous, Siorac, comment les
ligueux affectaient de suspecter la religion du défunt roi, qui était pourtant
fort dévot, pour la seule raison qu’il ne voulait pas l’éradication par le fer
et le feu de ses sujets réformés. Navarre catholique, ce serait bien pis !
Catholique, il ne le serait jamais assez ! Ces mutins, pour qui la
religion n’est que prétexte à révolte, disent chattemitement de présent : Ha ! Si seulement il était catholique et demain, s’il se convertit,
ils diront : Ha ! si seulement il était bon catholique ! Et après-demain, ils ne failliront pas à dire : Cela lui a peu coûté
d’aller à messe ! Ce n’est jamais que la sixième fois qu’il se
convertit ! Ha ! si seulement Navarre avait quelque brin de
religion !
— Et en
a-t-il ? dis-je tout à plat.
À quoi Rosny
cilla fort, et m’envisageant de son œil bleu, me dit :
— Et
vous, Baron de Siorac, en avez-vous ?
— Certes !
Certes ! dis-je, fort béant de cette soudaine attaque.
— Pourtant,
dit Rosny, vous n’avez pas fait scrupule, pour servir le défunt roi, de caler la voile et de vous faire papiste.
— Du bout
du bec, dis-je.
— Mais,
dit Rosny, quelle sorte de religion est-ce là qu’on ne professe que de bouche
et que le cœur renie ?
— Je vous
entends, dis-je, mais je crains que vous ne m’entendiez pas. Il est vrai que je
n’ois la messe que d’une oreille et que je ne vais à confesse que d’une fesse.
Mais ce n’est pas à dire que je sois skeptique. J’adore le Christ au-delà des
Églises.
— Ha !
dit Rosny, voilà qui est clair. Vous pensez qu’il vous est loisible de faire
votre salut dans l’une ou l’autre, indifféremment, de nos deux religions.
— Oui-da,
Monsieur de Rosny ! C’est cela, fort précisément que je crois ! Peu
me chaut, à la fin des fins, la façon du culte. Ce qui m’importe, c’est le
Dieu.
— Eh
bien, Siorac, dit M. de Rosny avec un victorieux sourire, je serais fort étonné
si en son for Navarre ne partageait pas votre sentiment… Ce qui, ajouta-t-il
avec un soupçon de gausserie, lui rendra les choses si faciles, quand le moment
sera venu…
— Le
suivrez-vous en cette voie ? dis-je au bout d’un moment.
— Nenni,
dit Rosny roidement, rien ne requiert de ma personne ce sacrifice, puisque je
n’ai pas, moi, de peuple à pacifier, ni de royaume à rétablir.
Il tint
parole. Créé plus tard duc et pair de Sully, haussé par le roi au second rang
dans l’État, et devenu le grand ministre que l’on sait, il ne renia mie sa foi
huguenote. Raison pour quoi il ne put jamais, étant réformé, recevoir l’Ordre
du Saint-Esprit, étant le seul duc et pair à ne l’avoir pas. Ce qui navra à ce
point sa paonnante vanité qu’il se fabriqua un Ordre à lui tout seul, portant
en sautoir, à l’accoutumée, sur la poitrine, une effigie en or d’Henri IV,
garnie de diamants et de perles. Ha ! merveilleux Rosny ! Si piaffeur
et si vertueux qu’on ne peut sourire de sa piaffe sans vénérer sa vertu. A
very eccentric Lord ! disait my Lady Stafford, la femme de
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