La Violente Amour
l’homme est un loup pour l’homme, n’a pas calomnié l’homme, mais le
loup !
Ayant dit, je
m’accoisai, adressant une prière à voix basse au ciel pour ce pauvre frère mien
qui venait de passer, sans que je l’eusse revu, ni même à sa tombe accompagné.
— Moussu,
dit Miroul, hélas, ce n’est pas tout.
— Diga
me, dis-je, le souffle court, comme si parler d’oc m’eût donné plus de cœur
pour accueillir le coup qu’il m’annonçait.
— Durant
que vous déliriez, Moussu, nous avons reçu une lettre de Montfort l’Amaury, et
celle-ci, bien qu’étant à vous-même adressée, se trouvant écrite, quant à
l’adresse, de la main de ma Florine, j’ai pris, Moussu, la liberté de la
déclore, craignant qu’il ne fût arrivé quelque mal à Madame votre épouse. La Dieu
merci, poursuivit-il hâtivement, il n’en est rien. Mademoiselle Angelina est
sauve, et n’a dicté la lettre à ma Florine que parce que la goutte gonflait et
raidissait son pouce.
— Miroul !
dis-je soulagé et cependant le nœud de la gorge à me faire mal se nouant, que
dit cette lettre ?
— Tenez,
Moussu, je ne saurais la lire. Je pâtis trop à annoncer moi-même tant de morts.
Prenant alors
de ma main senestre la lettre qu’il me tendait, j’y jetai les yeux et vis au
premier mot qu’elle m’apprenait la mort de Larissa. Tant âprement que me
poignit cette déplorée nouvelle, j’en fus encore plus étonné, n’en croyant pas
mes yeux de cette étrange coïncidence du mari et de l’épouse fauchés tous deux
quasi dans le même temps, tant est que je voulus voir de prime dans l’une des
deux disparitions la conséquence de l’autre. Et lisant dans ladite lettre que
Larissa avait été emportée en quelques heures d’un « transport au cerveau »,
je crus que la fatale arquebusade de Giacomi, toquant un esprit trop faible,
avait amené cette funeste issue. Mais comme me le fit observer Miroul, il n’en
était rien, la lettre étant datée du 11 août, et Giacomi ayant succombé le
13 à sa navrure, suivant, et non précédant Larissa dans la mort, et quant à lui
aussi, ignorant miséricordieusement que son épouse n’était plus, quand lui-même
mourut.
De son vivant,
j’avais éprouvé pour Larissa des sentiments fort mêlés pour ce qu’elle était
tout ensemble si semblable à mon Angelina par sa corporelle enveloppe, et si
différente d’elle en son être moral. Elles étaient jumelles, comme j’ai dit, et
plus malaisées à distinguer l’une de l’autre que deux grains de sable dans les
déserts d’Arabie. La taille, la charnure, l’œil, les traits, la voix, les pas
et la démarche, tout était, de l’une à l’autre, tant identique qu’on ne pouvait
que les confondre, sauf toutefois que la nature avait voulu mettre une marque
distinctive sur la face de Larissa : une petite verrue sur le côté
senestre du visage, entre le menton et la commissure de la lèvre, verrue qui,
si petite qu’elle fût, désolait tant Larissa que non contente de la dissimuler
sous un point de pimplochement, elle avait obtenu de la bénignité d’Angelina
qu’elle simulât en même place par le même artifice le grain de beauté
qu’elle-même contrefeignait : Ce qui à moi-même eût rendu leur
identification impossible, si le jésuite Samarcas ne m’avait appris, en passant
mon doigt sur cette mouche, à y sentir, ou à n’y sentir pas, le relief qui
était dessous.
Il s’en
fallait de prou toutefois que l’identité des jumelles se poursuivît de la
surface au cœur et de l’écorce à l’âme. À treize ans, Larissa avait été
surprise à coqueliquer en sa chambre avec un page qui appartenait à son père,
et celui-ci, en son ire, mettant l’épée à la main, le page, en sa terreur,
s’était défenestré, et sur le pavé de la cour, rompu le col. Sur quoi Larissa
se jetant sur la chambrière qui l’avait trahie, la dagua, et tomba incontinent
dans un désordre si extravagant qu’on la crut possédée du démon. À’steure se
versant à terre, elle s’y roulait en convulsions, battait et graffignait soi et
poussait, des heures durant, de stridentes hurlades. À’steure se relevant,
dénattant ses cheveux, et se mettant nue, elle courait par le château, se ruant
à tout homme qu’elle encontrait, jeune ou vieil, et l’accolant avec un visage
enflammé, proférait d’une voix rauque mille lubriques invites et incitations.
M. de
Montcalm, son père, cuidant Larissa
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