La Violente Amour
vous voilà l’esprit
en repos. À moins, ajouta-t-il avec un air interrogateur, que Larissa et
Angelina, étant si proches, aient eu l’habitude dès l’enfance de se tout dire
et jusqu’au plus menu de la vie. Ramentez-vous que l’unique but, appétit et
ambition de Larissa en cette vallée de larmes était, non point de ressembler à
sa sœur, puisqu’elle était déjà à elle identique, mais d’être sa sœur, d’être
Angelina, elle seule et elle tout à trac.
— Le
jésuite Samarcas, dis-je, prétendait plus, lui qui si bien la connaissait. Il
prétendait qu’elle cuidait être Angelina, et que c’était là sa particulière
folie.
— Je me
ramentois, dit Fogacer avec un moment de silence, avoir ouï de vous que lorsque
Larissa attenta de se faire passer pour sa sœur à qui vous aviez donné un
rendez-vous secret dans la poivrière flanquant la tour est de Barbentane,
Samarcas qui vous détrompa alors de l’erreur où vous étiez, vous dit que la
seule façon de distinguer Larissa d’Angelina était de passer le doigt sur le
point de pimplochement qu’elle portait à la commissure de la lèvre pour ce que
chez Larissa vous y sentiriez le relief de la verrue, et non point chez votre
épouse.
— Ha !
dis-je, la salive me séchant incontinent dans la bouché et parlant d’une voix
exténuée, bien je me ramentois en effet cette recommandation de Samarcas.
— Eh
bien, dit Fogacer, – me jetant un regard de côté en arquant son sourcil
diabolique, l’avez-vous suivie en votre présent prédicament ?
— Non,
mon ami, dis-je à voix basse. Non. Je ne l’ai pas encore osé.
Et si je ne
l’avais pas jusque-là osé, ami lecteur, ce n’était point par couardise, mais
par le sentiment confus où j’étais que le doute est parfois infiniment moins
navrant que la certitude. Raison pour quoi par une certaine animale prudence,
ne désirant pas nous enfoncer plus avant dans la male heure où jà nous sommes,
ni voir notre mésaise devenir désespoir, nous ne poussons pas notre quête trop
avant, reculant subrepticement devant la brutalité irréfragable des faits.
Telle m’apparaît à y songer plus outre, la leçon d’Œdipe qui, enquêtant sur la
meurtrerie du roi qui l’avait précédé, et dans son royaume, et dans la couche
de la reine, apprit que l’assassinateur n’était autre que lui-même,
l’assassiné, son père et la reine, sa mère. Oyant quoi, il se creva incontinent
les yeux pour se punir, je suppose, d’avoir osé envisager la vérité face à
face. Pour moi, je m’apense qu’Œdipe eût sauvé peut-être ses pauvres yeux, s’il
était sagement demeuré en l’aveuglement où il vivait, avant qu’une force
irréfrénable le poussât à en savoir davantage sur lui-même que son bonheur ne
l’exigeait de lui.
Cependant, il
n’est bandeau sur l’œil qui ne se défasse et déclose quand le touche, se peut
indiscrètement, une main amie. Dès que Fogacer m’eut mis quasiment au défi de
poser le doigt sur le point de pimplochement qu’Angelina portait à la
commissure de la lèvre, afin d’y sentir, ou de n’y point sentir, le relief
d’une verrue, je sus que j’allais le faire, combien que je laissasse encore
passer huit jours (qui s’écoulèrent pour moi en d’infinis tourments) avant que
de me décider. C’est que je voyais bien l’horreur à quoi j’aboutirais si mon
attentement devait me révéler tout ensemble la mort d’Angelina – se peut
dans des conditions suspectes – et l’imposture de sa jumelle, laquelle en
usurpant sa place, non contente de braver les lois humaines, aurait
sacrilégieusement outragé le sacrement du mariage.
— Ha !
me disais-je, me tournant et retournant sans fin sur ma couche désommeillée,
que ferais-je, Dieu bon, si je me trouve confronté à cette double
abomination : la disparition, se peut la meurtrerie, d’une épouse chérie
et la simulation d’une criminelle ? Irai-je taire et sans mot dire avaler
cette falsification monstrueuse ? Ou vais-je, si je la révèle, vouer
Larissa au bûcher et ma maison au déshonneur ? Et d’autant plus sûrement
que les juges ne failliront pas de trouver ma dénonciation tardive et ne
pourront qu’ils ne me suspectent d’avoir été en quelque guise complice et
connivent à l’incestueuse substitution de la sœur à l’épouse.
Mes tergiversations
eussent duré se peut plus longtemps si un soir au moment du coucher, un lundi
30 août, comme bien je
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