La Violente Amour
sorcellerie ou démoniaque possession par quoi les indoctes
pourraient trompeusement l’expliquer. Se peut, ajouta-t-il après s’être un
temps accoisé, que le grand changement de votre Angelina tienne tout bonnement
à son âge, lequel la rapprochant du moment où la maternité ne lui sera plus
possible, la jette en les fureurs et folies où nous la voyons.
« Fureurs
et folies » hélas, était bien dit, et leurs effets déchiraient
quotidiennement ma tranquillité domestique. Ce fut de prime Angelina qui un
soir, ses grands yeux lançant des éclairs et la bouche quasiment écumante et
tordue, me dit en le privé de notre chambre, que mon écuyer M. de Saint-Ange,
tant par ses regards que par son inconvenant déportement, avait manqué avec
elle à l’honnêteté. Je la décrus tout à trac et je le lui dis avec rudesse,
tant l’accusation me parut improbable et odieuse s’agissant de ce farouche et
virginal Hippolyte, dont je connaissais par mille exemples la peur qu’il avait
des femmes, à telle enseigne qu’il n’osait même pas en mon logis s’adresser à
une chambrière pour lui demander du vin. Et que M. de Saint-Ange ait été
l’assailli et non l’assaillant, j’achevais le lendemain de m’en persuader quand
l’écuyer, l’œil baissé et la voix trémulante, me vint demander son congé pour
aller visiter ses parents, lesquels, dit-il, étaient vieils et mal allants et
me requit, qui plus est, la permission de demeurer avec eux jusqu’à ma complète
curation et mon retour aux armées du roi. Ce que je lui accordai incontinent,
entendant bien que le pauvret, dans la réalité des choses, fuyait, comme Joseph
dans le récit biblique, la femme de Putiphar.
Je n’avais pas
toutefois la preuve de l’impudicité de mon épouse, et M. de Saint-Ange, en
parfait gentilhomme, eût été la dernière personne au monde à me la vouloir fournir.
Je me résolus donc, en l’occurrence, à ne point trop appuyer sur la
chanterelle, mais à jouer les notes basses, me contentant de montrer à Angelina
un front froidureux, et de désunir nos sommeils en couchant d’ores en avant en
ma librairie.
Nous en étions
là de ces silencieuses et subreptices tensions quand un autre, ou plutôt une
autre de mes gens, me demanda son congé. La nouvelle me vint par Miroul qui me
dit tout de gob se vouloir associer à cette décision, tout félice qu’il fût
pourtant, depuis le départ de Saint-Ange, d’avoir ajouté la capitainerie de mes
gens de pié au gouvernorat de mes pages.
— Moussu
lou Baron, dit Miroul dont l’œil marron et l’œil bleu me parurent, pour une
fois, porter la même expression, triste et déconsolée, le cœur me point d’avoir
à vous dire que je ne peux que je ne vous quitte avec Florine pour m’établir se
peut dans le Périgord, se peut dans le Bordelais.
— Ha !
Miroul ! dis-je en souriant sans liesse aucune, tu m’as fait mille fois
cette menace, et dois-tu me la faire encore, en ces jours où tu me vois si
tourmenté en mon chancelant domestique ?
— Hélas,
Moussu ! dit Miroul, ses yeux vairons se remplissant de larmes, cette
fois, hélas, est la bonne, car elle ne vient pas de moi, mais de ma Florine,
laquelle ne veut point demeurer une minute de plus dans le service de
Mademoiselle votre épouse, étant par elle quotidiennement tancée, tabustée, et
même battue en son office.
— Battue ?
dis-je en me levant, béant, de mon siège. Battue par la douce Angelina ?
Es-tu certain, Miroul ? Battue !
— Ha !
Moussu ! je n’en peux point douter, ayant vu les traces de ces battures et
frappements dans la chair de ma Florine, laquelle se trouve quotidiennement
souffletée, pincée et même piquée d’épingles quand elle pimploche, ou coiffe,
Mademoiselle Angelina. Et hier encore, trouvant le fer à friser ses cheveux
trop chaud, Mademoiselle votre épouse le lança à la tête de ma Florine, que par
miracle elle n’atteignit pas…
— Quoi ?
dis-je indigné, et marchant en ma librairie, Angelina en est arrivée à de tels
excès ! Certes, je n’ignore pas que de très hautes dames que je pourrais
nommer se livrent sans scrupules sur leurs malheureuses chambrières à d’aussi
malséants sévices ! Mais ce ne fut jamais lus à Mespech, sauf pourtant du temps
de ma défunte mère, ni à Barbentane chez les bons parents d’Angelina, ni en mon
domestique, lequel n’étant ni barbaresque ni turc, se veut avec tout un chacun
chrétien de cœur
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