La Volte Des Vertugadins
parce qu’il a une vertu
dormitive.
— Me voilà bien éclairé ! dit le Roi.
Il avala la pilule, but un gobelet d’eau et, après avoir
remercié les médecins, les congédia.
— Ventre Saint-Gris, dit-il, cinquante écus pour le
sommeil d’une nuit, c’est exorbitant ! J’eusse mieux fait de m’adresser à
ce médecin juif qui soigne Léonora Galigaï. Comment donc l’appelle-t-on ?
— Montalto, dit Bellegarde.
— Qui sait si ce Montalto n’eût pas été moins cher que
ces bons chrétiens ?
Là-dessus, il me demanda de lire L’Astrée, ce que je
fis avec l’animation que j’y avais mis déjà, mais observant au bout d’un moment
que son visage se détendait et ses yeux se fermaient, je regardai Bellegarde
qui me fit signe de m’arrêter.
— Sire, dit Bellegarde, dormez-vous ?
— La douleur, dit le Roi en ouvrant les yeux,
s’assoupit. Et m’est avis que je ne vais pas tarder à en faire autant. Mon
petit cousin, poursuivit-il, as-tu trouvé où te coucher cette nuit au
Louvre ?
— Oui, Sire.
— Or sus ! Siorac, que ton sommeil te dorme !
Et me reviens voir céans demain sur le coup de huit heures.
*
* *
Je ne savais pas alors que c’était une grâce spéciale de coucher
fût-ce une seule nuit au Louvre, et une exceptionnelle faveur que d’y dormir
dans un lit. Faveur que je dus au docteur Héroard, lequel au surplus, me
trouvant d’abord insomnieux, me parla d’abondance dans le noir, d’un lit à
l’autre, de l’unique objet de ses soins, de son amour et de sa dévotion :
le dauphin Louis. Et tant ses paroles m’émurent que je les transcris ici Verbatim, sans y changer un iota.
— Les rapports du Dauphin et du Roi sont ce jour d’hui
si tendres et si idylliques qu’on a peine à croire qu’ils ne furent pas
toujours ainsi. Je me souviens pourtant d’une scène très pénible à
Fontainebleau, quand Louis avait trois ans. Il avait promis de venir dire au
revoir au Roi, avant qu’il partît à la chasse, mais se voulant botter dans sa
garde-robe, il y découvrit son petit tambour, changea d’avis, et se mit à en
jouer. On l’alla dire au Roi. « Il préfère son tambour à moi ! »
dit le Roi aussi dépité que si une maîtresse à un rendez-vous lui avait fait
faux bond. Et il commanda qu’on amenât l’enfant à lui de gré ou de force.
Quelques minutes plus tard, précédé de sa gouvernante,
Madame de Montglat, Louis pénétra dans la salle, le chapeau sur la tête,
marchant au pas et battant du tambour. Mais à la vue de son père, lequel le
regardait venir à lui en fronçant le sourcil, il s’arrêta net et parut
interdit :
— « Ôtez votre chapeau, Monsieur », dit le
Roi.
Je suis sûr que le Dauphin aurait obéi, s’il n’avait eu les
deux mains embarrassées par ses baguettes. Il est vrai qu’il eût pu se libérer
en les glissant dans les étuis cousus à cet effet sur son baudrier. Mais il n’y
pensa pas, tant le regard sévère et le ton brusque de son père l’étonnèrent. Et
il resta là, les baguettes en l’air, sans jouer, mais sans obéir, figé, et le
rouge lui montant à la face.
Le Roi aurait pu répéter son ordre mais, outre qu’il avait
la patience courte, le refus de son fils l’avait irrité. Il avança la main et
enleva l’objet du délit. « Mon chapeau ! Mon chapeau ! Ye veux mon chapeau ! » cria le Dauphin, très à la fureur.
Étant accoutumé à ce qu’on lui obéît dans l’instant, le Roi
fut surpris que son fils ne vînt pas aussitôt à résipiscence. Il pâlit de
colère et, en un tournemain, lui enleva tambour et baguettes, lesquels il posa
hors de sa portée sur une table. Ce fut bien pis. Louis se mit à hurler :
« Mon chapeau ! Mon tam bou ! Mes baguettes ! »
Le Roi, pour le dépiter, et d’une façon à mon sens un peu
puérile, posa le petit chapeau sur ses propres cheveux. Et comme les cris
redoublaient alors, il reprit la coiffure de son fils et lui en donna un coup
sur la tête. Ce ne fut pas que le coup fût si fort donné, mais il humilia le
Dauphin qui creva presque de rage. Ce fut toute une petite tragédie que ce face
à face du père et du fils, l’un blême et l’autre rouge. À la fin, le Roi ne se
connaissait plus. Il prit Louis par les poignets et le souleva en l’air en
étendant ses petits bras en croix. « Eh ! Vous me faites
mal ! » hurla Louis.
La Reine, qui se trouvait là, ne broncha pas. Seules les
hurlades
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