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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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qui
dépassait ces « bornes de la bienséance » que notre beau muguet, pour
sa part, ne franchirait jamais.
    J’écris ceci en mon âge mûr, et encore que je me persuade
qu’il y a par essence quelque chose de déraisonnable dans le sentiment
amoureux, puisqu’il agrandit de façon si démesurée l’image de l’être aimé
qu’elle finit par occuper tout l’horizon de la vie, toutefois il faut bien
convenir que dans les tourments mêmes que ce sentiment apporte, il y a quelque
chose de délicieux, puisqu’il vous fait vivre tous les moments de votre
existence avec une intensité qu’elle ne possédait pas avant l’apparition de
l’amour.
    Le malheur, c’est que cette intensité balaye tout, et
d’abord la clairvoyance. Le monde entier reconnaissait à Henri dans le ménage
des affaires publiques une pénétration si rapide et si profonde des
arrière-pensées de ses adversaires qu’il flairait et déjouait sans effort les
pièges les mieux conçus qu’on lui pouvait tendre. Et pourtant ce génie
politique avait pris pour argent comptant les grimaces, les simagrées et les
déclarations d’amour de cette petite mijaurée, sans se rendre compte que le
seul souci qui occupait sa jolie tête était celui de sa propre gloire, et son
unique ambition, celle de monter sur le trône à ses côtés.
    Quand, de retour au logis, je contai à mon père la mission
que le Roi m’avait confiée, lui qui était d’ordinaire si maître de lui entra
dans une épouvantable colère et La Surie dut lui recommander de baisser la voix
pour que notre domestique n’en pût ouïr les éclats. Mais même à voix basse, on
peut fulminer. Condé, dit-il, était un brutal. Fort de son bon droit, il était
prêt à tout, et le danger n’était que trop réel. Et jour de Dieu, quel droit
avait Henri de me le faire courir en me mêlant à une intrigue aussi
subalterne ! Passe encore de me faire écrire son poulet ! Mais me le
faire porter comme un valet de théâtre, au risque de me faire daguer dans
l’ombre propice d’une église et pour une cause aussi peu respectable !
    Un long débat suivit, qui dura bien deux heures d’horloge,
au terme duquel il fut résolu que j’irai remettre le pli à Philippote (quel nom
ridicule ! dit mon père. Et qui sent sa basse comédie !) fortement
accompagné par mon père, La Surie, Poussevent et Pissebœuf, tous armés. Quant à
moi, je porterai une cotte de mailles sous un froc de moine, et la mission
remplie, on trouverait quelque prétexte pour prier le Roi de ne la point renouveler.
    L’idée de la cotte de mailles et du froc de moine m’ébaudit
beaucoup, tant je la trouvai romanesque, mais mon père et La Surie
m’expliquèrent que le capuchon servirait à cacher mon visage et les larges
manches du froc, à dissimuler deux dagues fixées sur mes avant-bras, lesquelles
me permettraient de contr’attaquer mon assaillant éventuel en attendant que mon
escorte volât à mon secours. Après ces explications, mon père et La Surie
procédèrent à tous ces préparatifs avec un soin si méticuleux que j’entendis
bien qu’ils s’amusaient aussi, quoique fort sérieusement, à retrouver avec moi
les aventures de leur jeunesse.
    À Saint-André-des-Arts, tout se passa le mieux du monde. Les
vêpres étant finies, il y avait peu de monde dans l’église, et voyant une forme
féminine agenouillée à l’endroit que le Roi m’avait dit, je m’approchai et je
n’eus aucun mal à reconnaître les yeux vairons de Philippote, car en ses
muettes prières la pécore les tournait non pas vers le ciel, mais vers un
bouquet de cierges votifs qui se dressait à sa droite sur un trépied. Je
m’agenouillai à son côté, je murmurai son nom, elle fit oui de la tête, mais je
n’eus pas le temps d’engager l’entretien. Un quidam se dirigeait vers moi,
descendant la travée, le sourire aux lèvres, et bien qu’il ne me parût pas
armé, je tâtais déjà mes dagues dans mes vastes manches quand il me dit d’une
voix polie :
    — Mon père, pardonnez-moi de troubler vos méditations,
mais avec votre permission, je voudrais voir votre visage.
    Et d’un geste vif, mais non brutal, il rabattit mon capuchon
en arrière et me considéra.
    — Monsieur, dit-il, vous êtes bien jeune pour faire ce
métier-là.
    Il n’eut pas le temps d’en dire davantage. Poussevent,
par-derrière, l’assomma d’une pichenette, et l’homme tomba avec une sorte de grâce
comme une écharpe qui

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