Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
qui
saillaient du mur et comme la pièce se trouvait sans cheminée, on y avait
apporté un brasero qui, en cette soirée de novembre, dispensait une chaleur qui
eût été agréable, si elle n’avait pas été prodiguée au détriment de la pureté
de l’air. Cependant, à y pénétrer de prime, la pièce, tendue tout entière de
tapisseries des Flandres, donnait l’impression d’être douillette assez, étant
occupée en outre par une grande table ronde garnie d’un tapis de Turquie dont
les chaudes couleurs, surtout par ce temps gris et froid, ne laissaient pas
d’être plaisantes. Mais je ne sais si les joueurs, assis autour de la table,
avaient tant besoin d’être réchauffés, tant ils jouaient furieusement.
    Ils étaient six : le Roi, Bassompierre, le Duc de
Guise, le Duc d’Épernon, le Marquis de Créqui, et ne l’aimant pas, j’oserai le
citer en dernier, tout prince du sang qu’il fût : le Comte de Soissons
qui, ayant fini de cuver dans l’un de ses châteaux sa bouderie fleurdelysée,
était revenu la veille au Louvre.
    Après m’être génuflexé aux pieds du Roi et lui avoir baisé
la main qu’il m’abandonna gracieusement le quart d’une seconde, je saluai
chacun des assistants, salut qui fut très diversement rendu : Bassompierre
par un large sourire, mon demi-frère Guise par un demi-sourire, le Marquis de
Créqui par un signe de tête, le Duc d’Épernon en fermant à demi un œil, et le
Comte de Soissons, pas du tout.
    D’évidence, la partie était bien loin de toucher à sa fin et
je me serais senti fort embarrassé de ma personne, si le Roi ne m’avait
dit :
    — Joues-tu, Siorac ?
    — Il ne joue ni ne gage, dit Bassompierre. C’est une
âme pure.
    — Si c’est une âme pure, dit le Roi avec le dernier
sérieux, elle est la seule ici et elle va me porter chance ! Vite, qu’on
apporte un tabouret ! À ma droite, céans, pour le Chevalier de
Siorac !
    Je m’assis, moins flatté que je n’aurais dû l’être, car il
me vint à l’esprit que j’allais demeurer immobile et muet sur ce tabouret
pendant un temps infini sans rien ouïr d’intéressant et sans rien entendre à ce
jeu où je les voyais tous si passionnés, tantôt transportés d’aise et tantôt la
crête fort rabattue, selon les coups heureux, ou malheureux, du sort. Mais si
peu content que je fusse en mon for, le Roi, lui, rayonnait. Depuis que j’étais
là, le petit tas d’écus devant lui avait triplé et il l’attribuait, sans en
rire le moindre, à la présence d’une « âme pure » à ses côtés.
    Le Chevalier du Gué vint troubler la fête. Il survint hors
d’haleine, rouge, tremblant et cria d’une voix bégayante :
    — Sire, le Prince de Condé a enlevé la Princesse sa
femme ce matin : ils ont quitté Muret sur les quatre heures et se dirigent
vers le nord.
    Dans le silence qui suivit cette annonce, le Roi se leva, le
visage cireux, et si chancelant qu’il dut s’appuyer avec force sur mon épaule
pour conserver son équilibre. La face défaite par l’angoisse, il fut un moment
avant de pouvoir parler et ce qui me frappa le plus à cet instant, c’est qu’il
avait gardé ses cartes en main, lesquelles par un mouvement dont il n’avait
sûrement pas conscience, il appuyait sur son pourpoint comme s’il eût voulu
qu’on ne vît pas son jeu. Enfin, la parole lui revenant et le sentiment de sa
dignité, il remit ses cartes à Bassompierre en lui disant de prendre la suite
et de veiller sur son argent. Puis, commandant au Chevalier du Gué de le suivre
et toujours appuyé sur mon épaule (de sorte que je n’eus pas d’autre choix que
de marcher à son côté), il quitta le cabinet et se dirigea d’un pas hésitant
vers la chambre de la Reine.
    Le choix de cette retraite me laissa béant, car outre que la
Reine, qui avait accouché quatre jours plus tôt, était étendue, dolente et
pâle, sous son baldaquin, le Roi ne pouvait imaginer que s’agissant de la
Princesse il pourrait trouver chez elle la plus petite once de sympathie pour
son désarroi. J’ai souvent pensé depuis ce jour-là à cette démarche insolite
d’Henri et la seule raison que j’aie pu lui trouver c’est qu’à cet instant, il
avait besoin d’une présence féminine, fût-elle muette, fût-elle même hostile.
    Éclairée à dextre et à senestre par de grands chandeliers
garnis de bougies parfumées, Marie de Médicis n’était pas étendue, mais
soulevée sur de grands oreillers de

Weitere Kostenlose Bücher