Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
repoussèrent du quai au moyen de longues gaffes et aussitôt, des
dalots de notre bâtiment, saillirent des avirons qui se mirent à battre l’eau,
mais sans grand effort, me sembla-t-il. Le timonier ayant poussé la barre sur
sa gauche, nous vînmes dans le mitan de la rivière. Après quoi, il remit la
barre droite. Celle-ci me parut fort grosse, courbe et très longue et je
remarquai que le timonier, tout grand et puissant qu’il fût, devait employer
les deux mains pour la manœuvre. Ayant fait, il la cala contre son flanc et
resta aussi immobile qu’une statue, se détachant sur le disque pâle du soleil
levant et la brume de la rivière. La poupe du bateau se trouvait surélevée pour
lui permettre de voir son chemin au-dessus de notre dais et je remarquai qu’un
autre batelier, couché de tout son long à la proue, lui faisait par moments des
signes en levant sa main droite, probablement pour lui signaler les dangers ou
les obstacles que, de sa place, le timonier n’aurait pu voir.
    La cadence des avirons, pour agréable qu’elle fût à
l’oreille, me sembla assez lente, comme s’il se fût agi pour eux d’accompagner
plutôt que d’accélérer la rapidité du courant et je portai ma vue derrière le
timonier sur cette belle Paris, étonné de la voir déjà plus loin de moi que je
n’aurais cru, les tours du Louvre paraissant, vues à distance, à la fois plus
nombreuses et plus importantes et derrière elles, surgissant de la brume en
train de se dissiper, les clochers des cent une églises de la capitale, ainsi
que les tourelles et les bretèches du quartier de l’Autruche, lesquelles, loin
de la fange puante des rues où elles se dressaient, paraissaient si pimpantes,
si nobles et si gaies sous le soleil qui les dorait.
    La gabarre avait laissé à main gauche la Tour de Nesle et à
main droite la tour de bois du Louvre, et déjà on pouvait voir les
fortifications de Paris, jalonnées de tours et de portes monumentales défendues
par des châtelets d’entrée. Je regardai bouche bée ce formidable mur d’enceinte
quand mon père, que je n’avais pas vu approcher, me dit en me mettant la main
sur l’épaule :
    — Ne vous fiez pas aux apparences : tout cela, vu
de près, tombe en ruine. Et même si ce n’était pas le cas, la valeur de ces
fortifications serait très limitée. Mon père le disait bien : « Il
n’est bons murs que de bons hommes. » Ce qui défend Paris aujourd’hui,
c’est un grand capitaine : le Roi, et une puissante armée : la
sienne. Mon fils, venez manger, votre assiette s’ennuie.
    Sous le dais, la table était richement dressée, couverte
d’un amoncellement de mets, de fruits et de vins. Tandis que nous prenions
place, Monsieur de Bassompierre montrait à ses nièces au loin la Porte de Buci [6] .
    — Mes caillettes, disait-il, vous en
ressouvient-il ? c’est par là que nous avons sailli de Paris, lors du
dernier carême prenant pour aller visiter la foire.
    — Ma fé ! dit l’une d’elles, bien je me ramentois
ces abominables faubourgs Saint-Germain par où il a fallu passer pour gagner la
foire. Ce n’étaient partout que taudis, murs lépreux, fange épouvantable, et
grouillant dans les alentours : loqueteux, mendiants, tire-laine,
follieuses et courtiers de fesses.
    — Jeannette, dit une autre des jolies nièces de
Monsieur de Bassompierre, on ne dit pas « courtier de fesses ». C’est
du dernier commun. On dit « maquereau ».
    — Que dit là-dessus Monsieur de Bassompierre ? dit
Jeannette.
    — Les deux se valent, dit Monsieur de Bassompierre en
rongeant la chair d’un pilon. Mais je préfère l’expression de Jeannette. Elle
parle davantage à l’imagination.
    À quoi nous rimes et Jeannette, levant les sourcils d’un air
étonné sur ses beaux yeux noirs, dit :
    — De quoi rit-on ?
    — Certainement pas de toi, ma colombe, dit Bassompierre
et tendant le bras vers le plat, il détacha de la main un friand morceau de
chapon et le lui tendit avec un sourire des plus gracieux.
    N’étant pas accoutumé à me tant garnir à une heure aussi
matinale, je touchai à peine aux viandes et si l’on excepte quelques petits
regards que je glissai à la dérobée aux aimables nièces de Monsieur de
Bassompierre, j’étais fort attentif au paysage, comme le Chevalier me l’avait
recommandé. À vrai dire, je prisais aussi peu que Jeannette les faubourgs de
Paris. Ils vous donnaient l’impression que tout le crime et

Weitere Kostenlose Bücher