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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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arbalète que je venais d’acheter sur mes
propres deniers. Je regrettai après coup de l’avoir prise car je vis bien, une
fois à bord, que cette petite arme de jet arrachait quelques sourires à
l’escorte de Bassompierre.
    Cette gabarre mesurait environ six toises de long et
possédait sur l’avant un mât unique qui supportait une grande voile carrée,
laquelle, comme on voulut bien me l’expliquer, ne pouvait exercer son office
que si le vent venait la battre sur le travers ou par l’arrière. Le pont
derrière le mât était parfaitement bien dégagé jusqu’à la poupe où se dressait
un grand dais damassé fort beau, sous lequel nous primes place et dont les pans
pouvaient s’abaisser, ou se relever, selon qu’on voulait se protéger du soleil
ou profiter de la brise. À une question que je soufflai dans l’oreille de La
Surie, il me dit que si je ne voyais pas les rameurs, c’est qu’ils se
trouvaient à leur place, sous le pont, et qu’on ne verrait d’eux à tribord et à
bâbord que leurs avirons, quand ils sortiraient des dalots pour prendre contact
avec le fleuve – ce qui supposait qu’on se fût déjà déhalé du quai.
    — Mais, ajouta-t-il, ils auront d’abord peu d’ouvrage,
sauf pour dénager quand il faudra nous ralentir, le courant ce jour d’hui étant
fort assez.
    — Mais supposons, dis-je, que dans un endroit rétréci
une gabarre pirate se mette au milieu de la rivière pour nous barrer le chemin.
    — Alors, nous lui courons sus et l’éventrons par le
travers avec le fort éperon de fer que vous avez vu à la proue. Mais à votre
grand regret, mon beau neveu, ajouta le Chevalier avec un sourire, vous ne
verrez rien de tout cela. La gabarre de Monsieur de Bassompierre n’est si forte
que pour n’être pas attaquée, et soyez assuré que ces messieurs de la flibuste
le savent parfaitement et préféreront s’en prendre à des gabarres moins
remparées, mais porteuses de blé, de viande ou de coton. Ouvrez l’œil sur vos
alentours, mon Pierre, mais seulement pour en savourer la beauté, car vous
verrez rarement chose plus belle que cette descente de Seine.
    À la dernière minute, comme le jour pointait déjà, et qu’un
batelier portait la main à nos amarres pour les détacher, survint, amenée par
un carrosse aux armes de Bassompierre, une troupe de cinq ou six dames fort
jeunes et fort jolies qui, dès qu’elles eurent mis le pied sur la gabarre, entourèrent
Monsieur de Bassompierre avec des bruissements de vertugadins, des battements
de manches, des rires et des pépiements. La vue de ce joyeux essaim me sécha la
gorge et me cloua sur place, alors même que j’aurais tant désiré l’approcher,
et je le regardai de loin avec envie voleter autour de Monsieur de
Bassompierre. À la fin, tirant La Surie par la manche, je lui dis à voix
basse :
    — Monsieur, sont-ce là des personnes de qualité ?
    Le Chevalier sourit.
    — À quoi augurez-vous qu’elles pourraient ne pas
l’être ?
    — Elles ne portent pas de masque. Et tant jeunes je les
vois, il me semble qu’une gouvernante devrait veiller sur elles.
    Je vis aux yeux de La Surie et plus particulièrement à
l’éclat subit de son œil marron, que cette remarque l’égayait. Cependant, quand
il parla, son œil marron cessa de luire et parut tout aussi sérieux que son œil
bleu.
    — Étant passées directement du carrosse à la gabarre,
elles n’ont pas cheminé par les rues et je ne vois pas, par conséquent, que
l’absence de masque ait pu être disconvenable. Quant à l’absence de
gouvernante, nous ne sommes pas à ce point espagnols que de mettre partout des
duègnes sur la queue des jeunesses. En outre, ces demoiselles ne sont pas moins
de cinq, et se protègent par leur nombre.
    — Toutefois, Monsieur, ne sont-elles pas un peu bien
effrontées avec Monsieur de Bassompierre ?
    — Elles sont familières, assurément. Peut-être
sont-elles ses nièces ?
    Nièces ou pas, elles vinrent s’asseoir avec nous sous le
dais, Monsieur de Bassompierre négligemment nous lançant à la ronde leurs
prénoms et aussitôt il nous annonça qu’une collation nous allait être servie.
Ce qui fit pousser aux demoiselles des petits cris de joie.
    Cependant, comme la gabarre bougeait déjà, pendant qu’on
apportait la table et les viandes, je m’intéressai à la manœuvre. Les deux
amarres rejetées dans le bateau, nos deux bateliers, l’un à la proue, l’autre à
la poupe, nous

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