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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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tout haut de sa santé, comme s’il eût voulu accréditer autour de lui
l’idée que le retard de son épouse à le rejoindre était dû à une indisposition
aussi soudaine que passagère.
    Toutefois, comme on le sut plus tard par Sully, dès qu’il
eut mis quelque distance entre les courtisans et lui en gagnant l’estrade, le
langage du Roi changea. Sully s’étant génuflexé devant la Reine pour baiser le
bas de sa robe, la Reine refusa de lui donner sa main à baiser, arguant qu’il
lui avait, deux heures plus tôt, rabattu si fort le bras qu’elle ne pouvait plus
le bouger. Ce rappel malencontreux d’un incident qu’il eût voulu oublier irrita
si fort le Roi qu’il lui dit à l’oreille d’une voix basse et furieuse :
« Madame, à la minute où je vous parle, vous ne seriez plus ma femme, si
Sully n’avait pas retenu votre main ! Et si vraiment vous ne pouvez bouger
le bras, la faute en est, non à Sully, mais au poids de ce bracelet de diamants
si ruineux pour mon État. Ventre Saint-Gris, Madame ! Si je vous laissais
faire, vous êtes si grande dépensière qu’un royaume n’y suffirait pas !
Donnez votre main sur l’heure à Sully et souriez, Madame, souriez ! Et
soyez bien assurée que si vous vous obstinez ce soir à me faire la mine, vous
n’aurez plus de moi un seul sol vaillant jusqu’à la fin de l’année ! »
La menace fit son effet. La Reine donna la main à Sully et posa ensuite sur son
visage un sourire figé. Le Roi sourit à son tour et, abandonnant son trône,
s’avança vivement jusqu’au bord de l’estrade, leva les deux bras pour réclamer
le silence, et s’écria d’un air joyeux :
    — Mes bons amis, Sa Gracieuse Majesté la Reine désirant
danser une sarabande, je vais avoir l’honneur d’ouvrir le bal avec
elle. De grâce, dès les premières mesures, joignez-vous à moi !
    La danse étant, avec l’escrime, l’équitation et le tir, un
des quatre talents requis d’un gentilhomme (cependant, il n’est pas de mauvais
ton, Henrico régnante [17] , de pousser un peu plus loin
l’étude), je voudrais consigner ici pour l’édification de mes arrière-neveux
quelques enseignements du maître à danser Raymond Lescot à qui ma bonne
marraine m’avait confié pour me dégrossir. Ce Raymond Lescot (mais il préférait
se nommer Raymond de Lescot) avait passé, disait-on, soixante-dix ans. Sa face
maigre, plus fripée et ridée qu’une vieille pomme, confirmait cet âge. Mais son
corps mince, vif et musculeux le niait avec véhémence : Lescot sautait
comme une carpe, bondissait comme un tigre, tournait comme une toupie. Et là où
nous faisions effort pour retrouver notre vent et haleine, il soufflait à
peine. Quand il dansait la volte, il soulevait la dame comme plume dans les
airs et dans ses bonds, il faisait plus de battements de pied que quiconque. Il
avait la tête petite, les traits aigus et quant à ses yeux, ils étaient ronds,
noirs, vifs et fureteurs comme ceux d’un écureuil. Il parlait d’une voix haut
perchée, mais fort bien et toujours avec pertinence.
    Il connaissait toutes les danses qui, depuis cent ans,
avaient eu la faveur du monde chrétien, tant celles qui avaient disparu que
celles qui avaient conquis la cour, venant d’une province française ou de
l’étranger, sans compter celles qu’on avait crues mortes et qui revenaient tout
soudain à la mode. En maître consciencieux, il prenait soin, avant de nous
enseigner les pas, de nous en retracer l’histoire. J’appris ainsi que la sarabande  –
que ce soir-là je dansai pour la première fois en public et avec qui ?
sinon avec Noémie de Sobole, qui courut à moi dès les premières notes arrachées
aux violons – nous venait d’Espagne où elle était exécutée, non pas par un
couple, mais toujours par une femme seule qui rythmait avec deux castagnettes
ses déhanchements, ses cambrures et ses torsions de taille : danse vive et
lascive dont le bon peuple espagnol tirait un innocent plaisir, jusqu’au jour où
elle fut observée d’aventure par le théologien Juan de Mariana qui en fut
profondément ému, la dénonça urbi et orbi comme une « danse
pestiférée » et par ses clameurs amena son interdiction. Cependant, elle
ne mourut pas tout à fait, puisqu’une version très édulcorée et beaucoup plus
lente parvint jusqu’à la cour de France, où elle était exécutée par couples
avec de sages pas, de faibles déplacements et chez les dames, des

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