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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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croire que jamais elle n’aurait pu porter l’enfant qui,
finalement, l’avait refusée comme mère. C’est ce qu’elle s’était dit chaque
fois qu’elle avait vu Côme et Élise ensemble. Elle refusa aussi de se demander
si elle aurait fait un bébé aussi joli que ceux de sa sœur.
    Viviane cessa de respirer ! Élise aussi.
Le personnel infirmier accourut rapidement, et Élise et Micheline furent
carrément repoussées à l’autre extrémité de la pièce. Élise exhortait Viviane à
s’accrocher et à revenir à la vie tandis que Micheline tenait sa sœur dans ses
bras pour l’empêcher de tomber. L’éternité dura deux minutes. Puis elles
entendirent parler le personnel infirmier, soulagé. Élise revint à la hâte près
de l’incubateur, où Viviane, allongée sur le dos, les bras en croix, était
occupée à faire de petites bulles.
    – Ne vous inquiétez pas, madame Lauzé. Ça
arrive chez les prématurés.
    Élise regarda l’infirmière et la détesta
spontanément.
    – Ne pas m’inquiéter ? Enfin, c’est
peut-être de la routine pour vous, mais pour moi, c’est ma fille que vous venez
d’empêcher de mourir. Ne pas m’inquiéter !
    – Élise !
    – Qu’est-ce que vous avez dans la tête,
vous ? Des livres médicaux ? Qu’est-ce que vous avez dans le cœur,
vous ? Sûrement pas de l’amour !
    – Élise !
    – Qu’est-ce que vous avez dans le ventre,
vous ? En tout cas, vous n’avez certainement pas d’enfants !
    – Calme-toi, Élise !
    – Oui, madame. J’en ai trois.
    – Qu’est-ce que vous faites ici, d’abord,
vous, au lieu de vous en occuper ?
    – Je m’occupe des vôtres, madame, pour
nourrir les miens.
    – Excusez-la, madame. Ma sœur est la
personne la plus douce du monde, je vous le jure. Elle est en état de choc. Je
ne la reconnais même pas.
    – Je sais. Je le serais aussi.
    Élise et Micheline pleurèrent pour exorciser
leur peur, en silence pour ne pas éveiller les jumelles.
    C’est de Côme que vint le problème, au grand
désespoir de Marcel et d’Élise. Quant à Micheline et à Blanche, elles se
demandèrent, sans le dire, d’où venaient ces fibres tricotées d’égoïsme.
    – Tu ne vas quand même pas me laisser
seul à la maison tout ce temps, Élise ! J’ai besoin d’aide pour réaménager
la chambre, je ne sais pas si j’ai acheté tout ce qu’il fallait, et les petites
ne voient pas la différence entre tes bras et ceux des autres.
    – Oui, elles savent. En tout cas, moi, je
sais. Et pour moi c’est important. Tant et aussi longtemps qu’elles seront
hospitalisées, je resterai ici.
    – On a la chance d’avoir quelques jours à
nous seuls, les derniers, et tu les refuses ! Viviane va aussi bien que
Violaine maintenant. Il n’y a plus de raisons de craindre quoi que ce soit.
    Élise, incrédule, regarda Côme en hochant la
tête.
    – Mon pauvre Côme, nous ne sommes plus
seuls. Depuis dix jours, nous sommes des parents, et nous devons être près de
nos filles. Tu voudrais qu’on soit à la maison à réaménager leur chambre alors
qu’elles se battent ici ? Explique-moi, comme tu dis.
    Côme baissa les yeux et murmura qu’il avait
peur de la perdre. Elle le prit alors dans ses bras pour le rassurer.
    – Tu ne me perdras jamais, Côme. Je te
suis déjà revenue.
    – C’est vrai qu’avec des enfants c’est
plus difficile de partir sur un coup de tête.
    – Je ne suis pas partie sur un coup de
tête, Côme. Tu me connais mal.
    – Je connais surtout mal la mère que tu
es devenue. Je vais apprendre à la connaître.
    – Moi aussi, mais je l’aime, la mère que
je suis devenue.
    Côme regarda Élise dans les yeux. Pour la
première fois de sa vie, il reconnaissait chez sa femme la détermination des
Lauzé et l’entêtement des Pronovost.

– 33 –
     
     
    La vie d’Élise avait changé de parfum. Des
discrètes odeurs printanières à la touffeur de juin, elle avait d’abord respiré
celui de ses filles, qu’elle ne cessait d’admirer. Son amour se déclinait à
l’inconditionnel.
    Elle le traînait maintenant dans les champs
et, dès qu’elle faisait une pause, elle regardait ses filles assoupies dans
leurs immenses paniers d’osier que Micheline avait trouvés chez des Italiens du
boulevard Saint-Laurent. Même si elle n’avait jamais pensé pouvoir créer la
perfection, ses filles étaient parfaites, avec leur visage poupin et leurs
cheveux duveteux. Contrairement à

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