L'abandon de la mésange
d’autres mères qu’elle avait rencontrées,
Élise avait toujours hâte à la tétée, pour sentir gigoter les jambes de
Violaine ou les menottes de Viviane. Pour sentir aussi leurs lèvres affamées se
coller à ses seins et les entendre pousser des soupirs de contentement.
Côme avait encore des contrats qui
l’éloignaient. Il avait acheté un livre, Le père et son enfant , et il
s’y référait à la moindre occasion. Apparemment, dans ce livre, il n’était pas
question du bain ni des langes. Élise était un peu désolée de le voir
s’impliquer si peu, mais elle n’en était pas étonnée.
– C’est quoi, l’idée, Côme, d’avoir une
bibliographie pour élever tes enfants ?
– Pour me faire dire que je ne suis pas
trop mal. Ça me rassure.
Marcel venait tous les jours voir les progrès
des enfants, pour leur plus grand bonheur. Elles s’agitaient en souriant et en
poussant de petits couinements de plaisir dès qu’elles entendaient sa voix.
Élise s’en réjouissait et elle regrettait que son père n’ait jamais pu les
bercer.
Juin s’achevait et les filles auraient quatre
mois en juillet. Profitant du congé de la Saint-Jean-Baptiste, Blanche et
Micheline vinrent à L’Avenir. Tous les prétextes étaient bons pour gâter les
enfants et tenter d’alléger le fardeau d’Élise, qui, étonnamment, supportait
les nuits blanches comme une chouette, avait le sein offert au moindre appel de
tétée et, au surplus, désherbait son jardin dont les sillons étaient
parfaitement droits. Dès que Bernard avait le dos tourné, Jacqueline arrivait
chez Côme et Élise, trop heureuse de bercer les bébés. Elle apportait un repas
tout préparé, prêt à faire chauffer. Les deux amies mangeaient alors dehors si
les petites y étaient, ou à l’intérieur si celles-ci dormaient ou qu’il
pleuvait. La seule ombre à leur amitié était leur perception du couple.
Micheline et Blanche arrivèrent donc les bras
chargés de cadeaux et de provisions – tout le monde voulait nourrir
Élise ! –, et Micheline, dès qu’elle eut posé les paquets sur la
table, se précipita vers sa sœur et son beau-frère.
– Quand faites-vous baptiser les
petites ?
– Je n’y tiens pas, Micheline.
Côme regarda Élise, étonné.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Que je n’y tiens pas.
– Vous vous embarquez dans des problèmes
légaux sans fin…
Élise baigna les petites, les allaita et les
coucha avant de reprendre la conversation qu’elle avait abandonnée sur le coin
de la table à langer. La discussion reprit. Marcel s’échauffa et s’énerva
tandis que Blanche tentait de l’apaiser.
– Il y a une fin au changement ! On
voit les filles au collège, la pilule, la morale disparue, les poitrines à
l’air…
– C’est drôle, monsieur Vandersmissen,
mais les seuls changements dont vous parlez sont ceux qui concernent les
femmes. Quant à moi, je suis contente qu’il n’y ait pas de fin au changement.
– Vous, Micheline, avec votre toge et vos
connaissances, avez-vous oublié que le paradis est toujours à la même
adresse ?
Élise leva la main pour empêcher sa sœur de
plaider.
– La profession de ma sœur n’a rien à
voir ici. On parle de baptême, Marcel, et je ne suis pas certaine de croire au
paradis.
– D’après vous, mon petit, l’âme de votre
père et celle de Mimine se promènent comme de la buée entre ciel et
terre ? Raisonnez un peu. Vous les avez vues quelque part, vous ?
– Justement, papa. Maman, à notre avis,
n’est nulle part.
– Dites quelque chose, Blanche. On ne
peut pas laisser nos petites-filles se promener avec la tache originelle !
– Marcel, nos filles n’ont pas de tache
originelle. Elles sont la pureté même.
– Pas selon les décrets de l’Église,
Élise.
Au grand étonnement de tous, Élise continua de
tenir tête à Marcel.
– Marcel, si nos filles veulent aller à
l’église quand elles seront grandes, elles le feront.
– Alors, je les baptiserai moi-même, avec
l’eau de notre puits. Au moins, elles éviteront les limbes.
– Les limbes peut-être, mais pas les
problèmes juridiques. Il leur faut des papiers. Il leur faut une
reconnaissance, sinon ce sera même compliqué de les inscrire à l’école.
– L’école, c’est pas avant six ans.
– Sur quelle planète est-ce que tu vis,
toi ? La loi dit que tu as quatre mois pour enregistrer la naissance de
tes filles.
– Quatre
Weitere Kostenlose Bücher