L'abandon de la mésange
mois ? C’est dans moins de
deux semaines…
Jacqueline alla feuilleter le calendrier.
– Il faudrait qu’on fasse ça dimanche,
parce que dimanche prochain ce sera le quatre juillet.
– Je ne veux pas de baptême !
– Tu n’as pas le choix, Élise. Ou allez
les enregistrer à l’hôtel de ville.
– Priver nos petites-filles d’un parrain
et d’une marraine ! Blanche, dites quelque chose !
Côme était visiblement mal à l’aise. Les
relations avec son père n’étaient plus les mêmes depuis le décès de sa mère. Il
alla se planter devant une fenêtre, puis se retourna, l’air penaud.
– Et si on faisait un petit baptême de
rien du tout, Élise ? Je n’ai pas envie de me battre contre un système.
C’est une formalité à remplir, sans plus.
– Crois-en ton avocate de sœur, Côme a
raison. C’est la paix que tu achètes là, pas une goutte d’eau et de l’onguent
sur la tête des petites.
– De l’onguent ! Ce n’est pas de
l’onguent, c’est le saint chrême !
Élise regarda sa mère, qui approuva d’un
hochement de tête. Jacqueline souriait, apparemment ravie. Élise grimaça.
Encore une fois, elle se sentait impuissante. Si seulement elle avait été comme
Micheline, déterminée et combative, ou comme sa mère, celle qui l’avait aidée à
accoucher. Sans un mot, elle alla regarder ses filles qui dormaient paisiblement,
les poings fermés sur leur confort.
– Tache originelle, mon œil, mes
poulettes !
Elle revint vers le salon et, les bras
croisés, le visage fermé au sourire, elle accepta le baptême à la condition que
ce soit une journée de bienvenue. Côme respira de soulagement, en souriant à
son père. Blanche acquiesça de la tête tandis que Micheline se réjouissait de
sa plaidoirie.
– Une bonne affaire de faite !
Maintenant, il faut choisir un parrain et une marraine.
– Ça se fait encore, ça ?
– J’aimerais être la marraine, si tu
veux, Élise.
– Bonne idée, Jacqueline ! Je te
l’aurais demandé…
Jacqueline était émue tandis que Micheline
tentait de cacher sa déception.
– Mais uniquement pour Violaine, parce
que j’aimerais que Micheline soit la marraine de Viviane, si Côme n’y voit pas
d’objection. Après tout, Micheline a assisté à la renaissance de Viviane.
Côme céda de bon gré.
– Nous n’avons pas un grand bassin de
famille pour pêcher…
Micheline feignait l’indifférence alors
qu’Élise avait vu rougir son détachement.
– Et les parrains ?
Ils se regardèrent tous. Les hommes, dans la
vie d’Élise et de Côme, se faisaient rares. Élise s’agita, voulut parler,
hésita, puis se décida.
– Si vous étiez d’accord, j’aimerais que
ce soit Wilson Philippe et son père. Ils étaient là, près de papa, pour son
départ, et ils pourraient donc être près de ses petites-filles pour leur
arrivée. Papa les tenait en haute estime.
Blanche porta les mains tout près de son cœur
en souriant.
– Quelle belle idée !
– D’autant plus que j’ai bêtement oublié
de les inviter au mariage…
– Tu vois, mon petit, que, même presque
laïc, un baptême a du bon !
– Bien dit, ça, un baptême laïc !
Côme s’approcha d’Élise en souriant et lui
posa la main sur l’épaule. Élise se dégagea et monta à sa chambre.
* * *
– Élise, tu vas quand même pas faire
baptiser tes filles dans de vieilles taies d’oreiller !
Élise, heurtée, regarda sa mère, dont la
réaction était d’une violence qu’elle ne lui connaissait pas.
– Oui, maman. Je veux prendre ce tissu
pour leur faire des petites robes. Ces taies ont été finement brodées de fil de
satin par leur grand-mère Vandersmissen.
Blanche étouffait.
– Je préférerais que nous allions à
Drummondville leur acheter deux jolies robes.
– N’en fais rien ! Je les leur ferai
pas porter, maman.
Blanche était démontée devant l’entêtement de
son aînée.
– Je me suis juré de jamais plus
transformer de vieilles guenilles. J’ai assez souffert de porter des manteaux
taillés dans les couvertures de la Belgo que mon père allait repêcher dans la
rivière Saint-Maurice, la nuit, pour cacher sa honte et notre misère. Je veux
pas faire une robe de baptême dans une guenille !
– Maman, je sais que tu as détesté
beaucoup de choses de ton enfance. Pardonne-moi, mais aujourd’hui je suis
forcée de te dire : dommage, maman. Mes filles seront baptisées
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