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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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tracteur. Puis, quand le soleil
chatouillait le clocher de l’église, qui pointait vers le ciel à l’est, Côme se
hâtait de se doucher, pour ensuite manger avec Élise et la reconduire à la
ferme, sauf les jours de pluie. Ils s’embrassaient toujours avant de se
quitter, et Élise, en souriant, se plaignait de rester sur sa faim.
    – Si ça continue, je vais avoir hâte que
l’hiver revienne… Tu te rends compte ? On ne sera pas obligés d’être
debout avant sept heures. Grand luxe !
    Côme ne relevait jamais ces propos, espérant
simplement qu’ils étaient vrais. Il souhaitait aussi qu’Élise dise vrai
lorsqu’elle affirmait adorer la campagne, même si elle semblait supporter
plutôt mal l’absence de sa famille et celle de Poussin.
    Côme ne posa pas de questions lorsqu’ils
virent arriver l’oncle Paul, claudiquant dans le potager, une main sur le front
pour se protéger les yeux des rayons aveuglants du soleil couchant.
    – Je me suis dit, comme ça, que c’était
le temps de la récolte des tomates. J’ai un talent extraordinaire pour les
équeuter et les blanchir.
    Côme et les deux dames Vandersmissen allèrent
à sa rencontre, ravis. Paul étreignit le mari de sa nièce en lui tapotant le
dos.
    – Et puis il faut bien avouer que j’avais
envie de voir mon Flamand !
    – Et je suis heureux d’accueillir le
mien !
    Paul demeura avec eux pendant près de trois
semaines, le temps de cueillir toutes les tomates, des rouges trop mûres aux
vertes, et d’en faire des pots et des pots qu’ils rangèrent dans la chambre
froide de la cave, posés en rangs bien droits.
    – À les voir comme ça, on dirait la
parade des tuniques rouges de la Gendarmerie royale !
    Élise jeta un regard attendri à son oncle.
Depuis son arrivée, elle avait le sentiment d’être retenue à un tuteur qui
l’empêchait de plier ou de casser. Tout étranger qu’il fût, il était le frère
préféré de sa mère et son fidèle complice depuis toujours. Lorsqu’ils se
retrouvaient tous les trois, le soir, rompus de fatigue, le dos noué, les mains
noires et les doigts raides, Élise s’agitait dans la cuisine tandis que Paul
racontait ses souvenirs à Côme.
    – Une sainte chance que j’ai une jambe en
moins ! Ça fait ça de moins à masser…
    Il éclata de rire, malgré la mine déconfite de
Côme et celle d’Élise qui les avait rejoints. Paul riait trop de son malheur.
    – J’aime pas ça, mon oncle, quand tu
parles comme ça.
    – Heureusement que j’ai des projets moins
fatigants ! Je m’intéresse à l’héraldique.
    – Ah !
    – Je dessine des armoiries. Je me cherche
des clients. Et puis je me débrouille aussi en caricature, mais c’est plus
difficile. J’essaie de vendre un peu de rêve par-ci, un peu de bullshit par-là, puis je trouverai bien quelqu’un qui va croire à l’un ou à l’autre…
    – Il me semblait que tu avais une machine
à tricoter, que c’est comme ça que tu gagnais ta vie…
    – T’as raison. C’est comme ça que je
gagne ma vie quand j’ai des contrats. Ça me permet d’accrocher des brins de
laine sur mes rêves, mais j’aurais préféré être professeur de latin. T’en
connais des jeunes, toi, qui aimeraient apprendre le latin ? Veritas
odium parit. Ça, ça veut dire que la vérité choque ou qu’on peut la
détester.
    Ce disant, il avait frappé sa jambe de bois en
souriant, peut-être tristement, pensait Élise. Sur ce geste de défi, elle alla
se coucher, laissant les hommes à leur monde.
    Côme vint la retrouver en marchant sur la
pointe des pieds.
    – Je pensais que tu dormais, ma douce.
    – Non. Je rêvassais en regardant par la
fenêtre, comme je fais toujours. La lune me calme.
    – Ton oncle est couché. Je ne sais jamais
où regarder quand il enlève sa jambe de bois et qu’il sautille sur une seule
jambe. Ça me fait mal au cœur.
    – Contente-toi de lui dire qu’il fait un
beau flamant, prêt à s’endormir.
    – Je veux bien blaguer, mais ça me fait
quand même mal au cœur. Comme ça me fait mal au cœur quand il se donne des
piqûres d’insuline. Je te dis que la vie n’a pas été trop trop généreuse pour
lui.
    – Je pense que la vie n’est pas d’une
nature généreuse, point.
    Côme fronça les sourcils et regarda son Élise,
allongée sur le ventre, la tête tournée du côté du mur. Lorsqu’elle prenait
cette position, il savait qu’elle avait besoin de le savoir près d’elle.

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