L'abandon de la mésange

de
confitures de pêches, trois pots de confitures de fraises et un pot de
ratatouille.
    – C’est une recette de ma belle-mère.
C’est fait avec des courges et des aubergines.
    – Ça promet ! On connaît même pas
ça !
    – Mais tu connais les oignons, les
tomates et les piments verts.
    – Ça oui !
    Élise avait aussi apporté un sac plein de pâte
à pain, qui menaçait d’éclater, et elle promit de la mettre au four dès qu’elle
l’aurait assommée d’un coup de poing et fait regonfler.
    La jeune mariée ne fit rien de spécial à
Montréal, mais fut catastrophée d’apprendre que Micheline et Claude se
fréquentaient toujours.
    – C’est pas sérieux, Micheline. T’as pas
encore vingt et un ans.
    – Et alors ?
    – « Ça sent la chair fraîche et il y
a quelque chose que je n’entends pas. »
    – Parle donc pour que je te comprenne…
    – C’est justement pas moi qui parle.
C’est l’ogre du Petit Poucet. T’as oublié ? « Ça sent la chair
fraîche… »
    Micheline sourit, répondit que oui et confia à
sa sœur, en chuchotant, qu’elle était amoureuse vingt-quatre heures par jour,
sept jours par semaine, et ce depuis son mariage.
    – Mais ça va faire un an ! C’est pas
un peu irresponsable de sa part ? Si sa blonde l’apprend, ça peut être
très laid. Résonne, tambour ! Tu es quand même mineure, Micheline…
    Élise n’osa pas demander si cet amour était
réciproque. Elle reconnaissait dans l’éclat des yeux de Micheline quelque chose
qui lui était familier depuis des années et qu’elle appelait le bonheur quand elle
le voyait dans ses yeux à elle.
    – Et maman ?
    – Je ne lui en ai jamais parlé.
    Micheline haussa les épaules et se ferma comme
une huître. Élise fut outrée, mais, se souvenant de son merveilleux premier été
d’amours, elle se tut.
    Elle s’affaira avec sa mère dans le jardin, à
planter quelques fleurs tardives, jusqu’à ce que les nuages éclatent. Elles
descendirent alors toutes les trois au sous-sol, pour mettre à jour la maquette
et entendre ronronner le train électrique. Élise y ajouta une reproduction de sa
maison de L’Avenir tandis que Micheline mettait la dernière main à celle de
l’université de Montréal, qui lui porterait chance, leur confia-t-elle. Blanche
invita enfin ses filles à aller manger au restaurant Hélène de Champlain.
     
    * * *
     
    Inquiète, Blanche retrouva Élise dans sa
chambre pour lui demander ce qui n’allait pas.
    – Mon ventre, maman.
    – Patience ! Souviens-toi que j’en
ai perdu deux avant que tu arrives. Il y a rien de magique dans la maternité.
C’est un processus biologique sophistiqué.
    De retour à L’Avenir, Élise alla au bout de
ses frayeurs en demandant à Côme s’il se lasserait d’elle si elle ne lui
donnait pas d’enfant. Il en fut catastrophé et comprit que l’acharnement
qu’elle mettait à le séduire soir et matin n’était peut-être pas dû à l’amour
qu’elle éprouvait pour lui, mais à la crainte de le perdre. S’il en fut
attristé, il fut davantage déçu de lui-même de n’avoir rien vu, rien compris.
    – Mon pauvre amour, ce n’est pas grave.
On prendra les enfants quand ils arriveront.
    – Et s’il n’en arrive jamais ? On
est mariés depuis presque un an…
    – Et alors ? Si on n’a pas
d’enfants, on n’aura pas d’enfants. Je t’aimerai toujours.
    Pour clore la discussion, il la prit dans ses
bras et lui chanta une berceuse. Encore une fois, Élise ravala son chagrin.
    L’été fut très exigeant pour Côme, qui avait
maintenant une clientèle ayant recours à ses compétences professionnelles, soit
pour un meilleur drainage, ou pour un engrais, ou pour des conseils quant au
choix d’une culture. Côme trouvait aussi que son père faisait pitié, seul dans
les champs, seul sur le tracteur à se regarder vieillir. Cet homme aurait
bientôt cinquante ans et Côme pensait qu’il avait atteint l’âge du repos.
    – Papa, ne te fatigue pas trop. À ton
âge…
    – Laisse mon âge tranquille. Charlie
Chaplin est beaucoup plus vieux que moi et il fait toujours des enfants.
    Côme avait du mal à voir encore quelque signe
de jeunesse chez un homme aux cheveux grisonnants et à la taille épaissie.
Faisant fi des propos rassurants de son père, il venait l’aider le plus souvent
possible. Ces jours-là, tous les deux se levaient à l’aube et ils voyaient
poindre l’aurore depuis la selle du