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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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du retard.
    – C’est pas grave. Il y a rien qui me
fait pleurer, ces temps-ci.
    À ses beaux-parents, elle dit qu’elle
offrirait son cadeau uniquement au printemps, puisqu’elle avait l’intention de
planter dans leur potager trois nouvelles variétés de tomates dont Côme lui
avait parlé.
    – Est-ce que tu as l’intention d’y
suspendre quelques fleurs de papier crêpé ?
    – Évidemment ! Pour qu’on puisse les
reconnaître !
    À sa mère, elle remit une boîte de métal
contenant deux douzaines de beignes, autour de laquelle elle avait noué à la
hâte un ruban rouge. Jacqueline lui faisait de petits signes d’assentiment,
impressionnée par l’apparition presque spontanée des cadeaux. À Paul, Élise
proposa un abonnement d’un an au journal Le Devoir , mais Paul refusa, y
étant déjà abonné.
    – Je sais qu’il est pas épais, mais c’est
pas une raison pour en lire deux. Déjà que je le lis deux fois…
    – Quant à toi, Côme, je n’ai pas eu le
temps de finir de te tricoter des chaussettes. Tu les auras plus tard. Tu ne
m’en veux pas ?
    M. Vandersmissen porta un toast à sa
belle-fille…
    –… qui sait faire la fête comme une véritable
petite Belge.
    Élise porta son verre à ses lèvres et ravala
son chagrin, le temps d’une interminable et triste nuit.

– 17 –
1962
     
     
    Élise ne savait plus comment regarder Côme,
qui fut la délicatesse même. Mois après mois, elle avait le sentiment d’être
d’une incompétence cruelle. Il ne lui posa pas de questions de tout le temps
des fêtes, même si elle savait qu’il trouvait étrange son comportement. Il n’en
posa pas non plus lorsque le printemps prit la terre d’assaut et que son père
et lui commencèrent à sélectionner leurs semences. Côme était maintenant le
fils qui, pour le père, possédait la compétence d’un agronome. Sa crédibilité
s’en trouvait décuplée. Élise, dans le potager avec sa belle-mère, rappela à
celle-ci qu’il fallait laisser de la place pour les nouvelles variétés de
tomates promises à Noël.
    Côme ne posa pas de questions non plus lorsque
Élise éclata en sanglots sans autre raison que d’avoir taché un drap ou, pire,
le matelas, comme ce fut le cas le matin où, profitant du congé de la
Saint-Jean-Baptiste, ils devaient partir pour un voyage de deux jours à Québec
afin d’aller y retrouver quelques collègues de Côme. Ils avaient déjà prévu
d’aller danser au Château Frontenac pour jouer les big shots et, le
lendemain, d’aller voir la chute Montmorency. Élise refusa de faire le voyage,
prétextant qu’elle avait mal au ventre et qu’elle n’aurait donc aucun plaisir.
Inquiet, Côme sortit de la maison sans dire un mot et alla à la pharmacie pour
inviter Jacqueline à les accompagner. Cette dernière en fut si excitée qu’elle
osa demander congé à son patron, qui le lui accorda. Élise boucla donc sa
valise.
    Côme ne posa pas de questions non plus lorsque
Élise voulut partir à Montréal pour quelques jours, en plein mois de juillet,
après la récolte des fraises.
    – J’ai envie de redevenir la fille de ma
mère et la sœur de ma sœur pendant trois jours.
    – Tu ne fais pas ça parce que c’est trop
lourd d’être ma femme ou trop ennuyeux d’être fermière, n’est-ce pas ?
    – Mais non, mon amour… Être ta femme est
la chose la plus merveilleuse du monde, et être fermière, c’est quasiment
exotique…
    Côme n’osa pas lui demander comment il devait
comprendre ces nuits où elle le suppliait de l’aimer encore et encore et ces
autres nuits d’insomnies et de reniflements où elle lui tournait presque le
dos.
    Élise prit donc le train, seule, et regarda
défiler champs et forêts, le visage rivé à la fenêtre. Elle écrasa une larme en
reconnaissant l’arbre sous lequel elle et son père avaient pris leur dernier
repas ensemble. Mois après mois, elle avait échoué à lui offrir l’éternité par
la venue d’un héritier ou d’une héritière.
    Elle regarda les montagnes et retint son
souffle lorsque, à Belœil, le train franchit très lentement le pont enjambant
le Richelieu. Arrivée enfin à Montréal, elle sortit précipitamment du train
lorsque celui-ci s’immobilisa à la gare Centrale et elle sauta aussitôt dans
l’autobus. Elle sonna avant d’entrer chez sa mère.
    Micheline trépigna en l’accueillant et se lécha
les babines lorsque Élise posa sur le comptoir de la cuisine deux pots

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