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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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dans la salle des fêtes. Les
invités n’ont pas à grignoter nos provisions toute une soirée !
    — Si Votre Majesté veut regarder la liste des invités…
    — Vicentini ? Non, dit l’Empereur en parcourant
cette liste du regard. Il en profite trop, celui-là, il se goinfre et nous
coûte cher pour rien.
    — Il va se froisser…
    — Trouvez-lui une mission, Bertrand, éloignez-le des
Mulini le jour de cette maudite soirée.
    — Je vais inventer un motif…
    — La baronne Skupinsky ?
    — Pas elle, sire, c’est l’épouse d’un commandant
polonais. Comme d’habitude elle va danser un fandango en fin de soirée, cela
distrait et, pour nous, c’est gratuit.
    — Et ça ? Qu’est-ce que c’est ?
    — Le carton d’invitation, sire.
    — Ôtez-moi cette formule idiote !
    — Laquelle, sire ?
    —  Souverain de l’île d’Elbe.
    —  Pour mettre quoi à la place ?
    —  L’Empereur vous invite, etc., etc. Voilà qui
est sobre et moins ridicule. Et cette facture ?
    — Oh, cette facture, c’est autre chose, sire, Son Altesse
la princesse Pauline a fait placer huit stores dans son salon.
    — Soixante-deux francs ?
    — Elle a fourni la toile, mais la confection et la
pose, en effet, coûtent soixante-deux francs.
    — Cette dépense n’est pas portée au budget, la
princesse payera. Hé ! voyez qui nous arrive.
    M. Pons traversait le jardin, il allait dans un instant
se présenter devant l’Empereur, qui dit à Bertrand :
    — Vous lui donnerez son invitation, cela en fera une de
moins à porter.
    M. Pons de l’Hérault avait la figure altérée. Cet homme
de convictions ignorait les demi-sentiments. Après avoir été longtemps hostile
au tyran, sa familiarité et sa confiance l’avaient retourné, aussi était-il
devenu bonapartiste avec ferveur, et il s’inquiétait :
    — Savez-vous, sire, ce qu’on papote en ville ?
    — Tellement de bêtises !
    L’Empereur fit un signe à Bertrand, qui s’esquiva avec ses
dossiers pour le laisser en tête à tête avec son administrateur dévoué, qui
arrivait mal à trouver ses mots :
    — Voilà, sire, on dit qu’au Congrès, à Vienne, nos
ennemis cherchent à vous éloigner des côtes européennes, à vous enlever d’Elbe,
à vous placer dans une île invraisemblable…
    — Je sais.
    Par des lettres de ses frères, consues dans la doublure d’un
messager, Napoléon avait appris que Talleyrand réclamait sa déportation aux
Açores ou aux Antilles, ou pire, à Sainte-Hélène, comme l’avaient précisé des
voyageurs anglais. L’Empereur s’était aussitôt renseigné. Sainte-Hélène était
un rocher volcanique battu par les vents, noyé dans les brouillards, entre
l’Afrique et le Brésil, en dehors des routes maritimes normales. Un tombeau.
Pons demanda d’une voix éteinte :
    — C’est donc vrai ?
    — Oui, mais on ne le fera pas.
    — Sainte-Hélène, sire, j’ai consulté mes livres, c’est
une île chiée par le diable !
    — Je puis me défendre ici pendant deux ans, et en deux
ans il peut se passer bien des choses.
    L’Empereur évoqua ce traité que le roi de France ne
respectait pas, les subsides qu’il refusait de verser pour l’affamer ; il
considérait cette attitude comme une déclaration de guerre : en trahissant
sa parole, disait-il, le roi rétablissait l’empereur, et soudain, au coin d’une
phrase :
    — Vous avez été marin, Pons ?
    — Sous la République, vous le savez.
    — Je vous charge d’une mission.
    — Sire, je vous remercie de votre confiance…
    — Gardez là-dessus un silence absolu.
    — Je serai muet.
    — Vous allez organiser, sans que cela se sache, une
flottille expéditionnaire.
    — Une flottille expéditionnaire ? Avec mes
péniches ?
    — Vous y mettez du minerai, pourquoi pas des
hommes ? Et puis vous trouverez d’autres embarcations à aménager.
    M. Pons se retira, tout gonflé de sa mission. Il
imaginait un débarquement en Italie, où Napoléon était considéré comme un
sauveur possible dans les principales régions que des patriotes travaillaient
en sa faveur. L’Autriche avait ressuscité les petits États pour mieux les
contrôler, sur toute la péninsule, mais certains résistaient à l’occupant.
Murat ne pliait pas mais il se savait menacé. Son royaume de Naples devait
revenir aux Bourbons dont la police imprimait des brochures qui le montraient
en marmiton, coupe-jarret, massacreur, fusilleur du duc

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