L'absent
malines ! M me Ducluzel
m’envoie des dentelles qui ne sont pas blanches, mes robes sont trop larges de
partout, j’ai beaucoup maigri, tous les bonnets qui arrivent de chez Leroy sont
affreux, de deux doigts trop grands !
Octave patientait debout. La princesse choisissait une tenue
appropriée à la saison et au temps, son coiffeur lui arrangea ses mèches, un
maquillage léger mais savant lui ranima le teint, puis, aidé d’un valet, Octave
porta la princesse au rez-de-chaussée sur son coussin à poignées, car elle
avait peur d’user la semelle de ses bottines lacées. Elle alla ainsi jusque
dans son landau café au lait, où l’attendaient deux demoiselles de compagnie
pomponnées. À cheval, avec une escorte de principe composée de quelques
gendarmes, Octave guida la voiture sur la route neuve qui côtoyait les salines.
Des visiteurs en randonnée les saluèrent au passage et les paysans soulevaient
leurs chapeaux. Ils arrivèrent bientôt à la villa de San Martino, construite
sur une colline ; c’était une maison très simple aux murs blancs passés à
la chaux. Le landau s’arrêta entre les pins et les acacias récemment plantés,
et Pauline demanda d’une voix lasse :
— Aidez-moi jusqu’à la maison, monsieur Sénécal.
Descendu de cheval, Octave ouvrait la portière du landau. Il
reçut la princesse dans les bras et dut l’amener jusqu’à la porte, si étroite
qu’ils la passèrent de biais. D’un signe indolent, Pauline avait demandé à ses
suivantes de rester à l’extérieur ; elles rejoignirent les gendarmes et le
gardien de la villa qui dressaient les tréteaux pour la table du goûter champêtre,
tant l’hiver était clément. À côté d’un carré de terre retournée, le potager,
les six vaches laitières de l’Empereur estimaient distraitement les intrus en
ruminant le foin de leur étable. Au même moment, Octave posait la princesse à
terre, au pied d’un escalier raide comme une échelle qu’elle grimpa en lui
demandant de la suivre. Octave n’était jamais entré à San Martino, où Napoléon
venait peu et et où il ne s’attardait guère. Au premier étage, qui s’ouvrait
par-derrière sur un jardin, car la maison aux tuiles rouges était posée sur la
pente d’un coteau, il se retrouva dans des petites pièces meublées à la
florentine avec les sofas et les commodes volés au prince Borghèse, le mari de
Pauline, qui batifolait à Rome avec sa jeune maîtresse italienne.
— Ici je suis un peu dans mon palais, dit Pauline en
jetant sa capeline et tirant ses lacets. Tenez, ce divan, il pourrait vous
raconter sur moi tant de choses.
— Et cette statue ?
— Elle n’est pas ressemblante ?
Octave étudia longuement la statue de Canova. Le sculpteur
trévisan avait représenté la princesse dans une pose compliquée. Elle était
accroupie, un genou à terre, un bras derrière la nuque et l’autre sous les
seins qu’il rehaussait. Octave allait demander : « C’est
vous ? » mais, le temps qu’il se retourne, Pauline avait pris en
souriant la même pose, aussi nue que son effigie :
— Non essere sciocco ! C’est moi,
nigaud ! mais oui, regarde, moi la vraie Paoletta je ne suis pas en marbre
blanc…
Le docteur Foureau de Bauregard n’eut aucune peine à déceler
le mal dont souffrait Octave. Il le considéra d’un œil narquois et
désapprobateur, soupira, lui servit un brin de morale :
— Évidemment, ça devait vous arriver, à force de
coucher avec les filles du port.
— Les filles du port, oui, répétait Octave en bouclant
sa ceinture.
— Les marins qui leur rendent visite ne leur apportent
pas que des souvenirs de voyage, à ces filles. Bon. Je vais vous prescrire la
même médication que pour Sa Majesté. Notre pharmacien vous préparera le mélange
qu’il connaît. Deux injections par jour.
— Avec une seringue ?
— Bien sûr, pas avec une flûte !
— Je n’ai jamais pratiqué les piqûres…
— Vous vous y ferez, mon ami. Ce n’est pas toujours
glorieux, vous savez, d’imiter l’Empereur.
Octave devait donc soigner avec énergie cette maladie aussi
gênante que galante dont lui faisait présent la sœur de Napoléon, et il allait
conjurer ce petit malheur en observant mieux le va-et-vient des officiers jolis
cœurs que Pauline emmènerait en promenade loin des Mulini, pour y accomplir ses
frasques à l’écart des médisants. Comme on s’en doute, aucune trace de cet
épisode en
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