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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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passagers que nous avons
tirés d’affaire. Taillade a relâché en Corse, il y a dîné avec un aide de camp
de Bruslart…
    — Pfft ! Il est plus idiot que dangereux.
    — Les idiots sont toujours dangereux, sire !
    La mer se calme, les vagues grondent encore mais s’étalent
plus apaisées sur le sable. Les pilotes du port arrivent pour remorquer
l’épave.
    — Donnez-moi votre avis, Pons. Combien de temps va-t-il
nous falloir pour renflouer ?
    — Si la coque n’est pas éventrée, environ trois
semaines.
    — Faites en sorte que la coque soit intacte, dirigez
les travaux, tenez votre délai. Et vous ferez repeindre L’Inconstant en
noir et blanc.
    — Comme un navire marchand anglais ?
     
    La princesse Pauline servait d’écran. Napoléon avait besoin
de sa légèreté pour abriter ses colères, ses soucis, ses craintes de l’avenir.
Chacun plaignait Paoletta, qui était mal portante, habituée des villes d’eaux,
mais elle entretenait cette langueur morbide et n’avait aucune préoccupation
essentielle. Elle était riche et personne n’en voulait à sa vie, elle ne
cherchait qu’à se distraire, le temps d’un quadrille elle rayonnait d’entrain
et de vivacité. L’Empereur lui avait donné la charge de régenter les plaisirs,
alors elle répétait des vaudevilles dans l’ancienne grange des Mulini, elle
organisait des concerts de flûtes et de fifres fréquentés par la bonne société.
Des jeunes lieutenants se disputaient autour d’elle en roucoulant, mais aucun
ne passait dans son lit, tellement les pièces du palais étaient sonores et
communiquaient toutes entre elles, car il fallait, même dans les amours, un
minimum de discrétion pour que les mauvaises langues ne fassent pas circuler
des récits grivois. Les grognards l’appelaient Paoletta et ils l’adoraient, les
touristes l’admiraient quand elle se promenait en gondole dans le golfe ou
parcourait la ville couchée dans un palanquin, les Elbois l’aimaient quand elle
ouvrait un bal en entraînant pour une danse ce pauvre Cambronne, si gauche, et
on s’amusait à voir les efforts du général qui évitait de lui écraser ses
ballerines de soie rose.
    Octave savait que le séjour à Naples de la princesse avait
contribué à raccommoder Murat et l’Empereur, et il la louait de cela, mais,
s’il avait été ébloui par sa beauté, sur la route de l’exil, avant Fréjus, il
voyait désormais cette déesse de près, il la fréquentait chaque jour ;
qu’importe s’il avait des bouffées de chaleur en découvrant ses tenues
affolantes, il se fatiguait de ses caprices, de ses bouderies feintes, de ses
exagérations, de ses jérémiades perpétuelles. L’Empereur demandait souvent à sa
sœur de prendre l’air, c’est-à-dire, pour la remuer, qu’elle découvre son île.
Jusqu’à présent Octave avait échappé à la corvée des promenades, mais
aujourd’hui Napoléon l’avait désigné à dessein. Plus les menaces pesaient et
s’accumulaient, plus la police refoulait des indésirables, dont quelques-uns
portaient des couteaux effilés, plus les projets de Napoléon se précisaient
(sans qu’il en parle à personne), et plus il voulait d’insouciance autour de
lui : Octave parmi les demoiselles de compagnie, tenant le bras de
Pauline, cela signifiait au-dehors qu’aucune opération sérieuse ne se montait
et qu’on prenait peu au sérieux les menaces de mort.
    Octave monta l’escalier droit aux marches de marbre rose,
qui menait aux appartements de Pauline, longtemps prévus pour l’impératrice, à
l’étage des Mulini. Il se fit annoncer, entra dans le grand salon lumineux aux
fauteuils blanc et or. Des jeunes femmes habillaient la princesse en lui nouant
aux épaules une tunique drapée.
    — Je suis à la disposition de Votre Altesse, dit-il un
peu gêné.
    — Nabulione veut que vous m’emmeniez où ?
    — Sa Majesté a pensé que les hauteurs de San Martino
redonneraient une santé à Votre Altesse…
    — C’est affreusement loin !
    — Une heure de route, tout au plus.
    — Mais je n’ai rien à me mettre pour ce voyage !
    — Ce n’est pas vraiment un voyage, tout au plus une
balade dans la campagne, et le temps est doux…
    — Vous ne comprenez rien, mon pauvre ami !
    Avec une moue et des manières de jeune fille, Pauline ouvrit
un coffre, tripota des chiffons en se plaignant :
    — Tout se détraque en France, monsieur, on ne sait plus
coquiller un ruban ou blanchir une

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