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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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forme de gaudriole ne figure dans le journal d’Octave ; il
notait plutôt les événements qui se précipitaient ou semblaient se contredire.
    Lundi 13 février. L’Empereur continue sa politique
de grands travaux. Il prévoit quatre mille francs pour les Ponts et Chaussées,
à verser en mensualités jusqu’au mois de juillet. Il veut en effet construire
un pont près de Capoliveri, achever une route. Il a déjà fait clore le cap
Stella d’un mur de pierres sèches et d’un long fossé, et ordonné une battue sur
toute l’île pour enfermer dans cette réserve les lapins et les lièvres. Cela
promet des festivités. Ce matin, j’ai porté au comte Bertrand une lettre où Sa
Majesté lui demande de préparer son séjour d’été à l’ermitage de Marciana. Il
faudra louer des maisons pour sa suite, faire réparer l’ermitage, en
agrandissant la pièce qui lui serviva de cabinet de travail et en transportant
les cuisines de l’autre côté de la chapelle. Le comte Bertrand doit lui établir
un devis. Dans le même temps, et cela paraît aller contre ces aménagements à
terme, l’Empereur vient de demander, en ma présence, au général Drouot d’armer
L’Inconstant, maintenant radoubé, avec vingt-six canons et d’y amasser des
provisions pour cent vingt hommes pendant trois mois…
    Ce même lundi, en remontant de la mairie aux Mulini, Octave
a croisé le signor Forli qui livrait son huile d’olive.
    — Monsieur Sénécal, vous qui savez tout…
    — Autant que vous, mon cher.
    — Ne jouez pas le modeste. Donnez-moi l’identité du
faux marin que l’Empereur reçoit en ce moment.
    — Je ne suis pas au courant.
    — Je vous ai vu sur le perron de l’hôtel de ville, vous
avez donc rencontré le comte Bertrand.
    — C’est vrai. Je lui ai remis une lettre de l’Empereur
qui concerne ses projets de villégiature pour l’été prochain.
    — Bertrand a donné ce matin une autorisation d’audience
à un personnage déguisé en marin.
    — Pourquoi déguisé ?
    — Il avait des mains trop fines pour tirer des
cordages.
    Le marchand d’huile avait remarqué l’individu sous la Porte
de Mer, quand il faisait viser son passeport au bureau de la douane. Il venait
de Gênes. Il est entré en ville, où l’on tendait déjà des guirlandes pour le
carnaval du 15 février, puis il a retenu son lit dans un chauffoir réservé
aux matelots de passage. Une audience ? Un simple marin ? La
sentinelle, devant les Mulini, lui a refusé l’entrée. Qu’il aille demander une
autorisation à la mairie, comme tout le monde, et l’homme est revenu deux
heures plus tard avec son autorisation signée. Le soldat a eu l’air surpris
mais l’homme est entré aux Mulini avec sa défroque de marin.
    — Je m’étonne que Bertrand ne vous l’ait pas signalé.
    — Je ne suis pas au courant de tout, Forli, mais je
vais me renseigner.
    Aux Mulini, l’Empereur était enfermé dans son cabinet de
travail avec le visiteur. La conversation s’éternisait. Octave s’assit sur un
muret du jardin et le vit ressortir. Le marchand d’huile avait raison, il ne
ressemblait pas à un matelot et n’y connaissait pas grand-chose en déguisement,
on l’imaginait mieux en cravate et redingote noire. Octave écrivit à son
propos : C’est l’ancien sous-préfet de Reims, qui a démissionné pour ne
pas servir le roi. Il vient de la part du duc de Bassano et Sa Majesté s’en est
assurée en lui posant des questions précises, auxquelles il a répondu de façon
convaincante. Le duc de Bassano nous apprend par sa bouche, entre autres
choses, que Fouché complote avec les anciens Jacobins et une coterie
d’officiers pour chasser un Louis XVIII très impopulaire, établir la
régence mais expédier Napoléon à Sainte-Hélène, selon l’idée de Talleyrand.
Cela confirme ce que nous savons depuis des semaines.
     
    Le mercredi suivant, celui des Cendres, on enterra le dieu
carnaval avec cérémonie. Des bals masqués étaient prévus aux Mulini, au fort de
l’Étoile, chez les particuliers qui ouvraient ce jour-là leurs maisons. La
population était descendue en masse dans les rues, des touristes heureux se
mêlaient aux Elbois, ils dansaient, riaient, buvaient, mangeaient aux échoppes
les traditionnelles tripes en rouleaux saupoudrées de sel, buvaient encore. Sur
le parvis de l’église, mué en champ de foire, des camelots aux tenues baroques
vendaient des jouets ou des chapeaux, les gosses

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