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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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était
invité pour son art dans les cercles, dans des restaurants huppés, devint à la
mode. Il forma des élèves et rentra en France, vers 1802, avec cent cinquante
mille francs de rente.
    — Vous étiez trop jeune, disait-il à Octave, pour avoir
connu ce temps-là, quand nous arrivions démunis, chassés par les Jacobins qui
voulaient nous trancher le cou.
    — Tout de même, j’avais huit ans !
    — Nous étions ruinés, nous devenions colporteurs,
acrobates, porteurs d’eau comme M me  de Montmorency. Vous
vous en souvenez ? Les comtesses chantaient dans des cafés, elles
vendaient du poisson de la Tamise…
    — Ma mère fabriquait des chapeaux de paille.
    — Vilaine époque, hein ? Mais là-bas, n’est-ce
pas, il n’y avait que les fenêtres à guillotine !
    Champcenetz hoquetait à cette astuce mille fois redite puis,
en reniflant, il demanda à Octave :
    — Comment va-t-elle, à propos, cette chère femme ?
    — La comtesse de Salisbury ? Bien, ma foi, bien.
    — Elle vous a reçu, je suppose, dans sa jolie maison de
Kensington…
    Octave n’eut pas à répondre, le comte de Sémallé avait
abandonné ces messieurs et le prenait par le bras pour l’entraîner dans un
petit bureau voisin où les attendait La Grange :
    — Nous sommes au gouvernail, disait le marquis
d’excellente humeur. Le baron Plotho, notre Prussien de ce matin, m’a présenté
au nouveau gouverneur de Paris, Sacken, un général qui s’exprime dans un
français impeccable, et me voilà son adjoint. Qu’en pensez-vous ?
    — Parfait, dit Sémallé, il faut s’occuper de la presse
sans perdre un instant. Buonaparte nous aide : il a supprimé la plupart
des journaux, nous n’en avons que cinq à investir, ceux de Paris, qui forgent
l’opinion. Nommez Morin censeur général, qu’il désigne à son tour des responsables
pour chacune de ces feuilles…
    — Michaud à La Gazette de France  ?
    — Comme bon vous semble.
    — Autre chose, dit La Grange, le tsar loge à l’hôtel
Saint-Florentin.
    — Il ne devait pas s’installer à l’Élysée ? dit
Octave.
    — Oui, mais un mot l’a averti que ce palais était miné,
alors il a accepté l’offre de Talleyrand…
    — Qui a lui-même fait écrire ce billet pour attirer
Alexandre chez lui, ah le renard !
    — Plus ennuyeux, continuait La Grange, Caulaincourt est
en ce moment rue Saint-Florentin.
    — Peste ! le duc de Vincennes !
    Les royalistes surnommaient ainsi le duc de Vicence,
Caulaincourt, parce qu’ils l’accusaient d’avoir trempé dans l’enlèvement du duc
d’Enghien, assassiné à Vincennes. Le comte restait pensif, les yeux braqués sur
les dessins du tapis. Caulaincourt, grand écuyer de l’Empereur, avait connu le
tsar à Saint-Pétersbourg quand il était en ambassade, et ils avaient
sympathisé. Buonaparte l’avait envoyé négocier, mais quoi ? Son
trône ? Une régence ? Le tsar admirait Napoléon, il pouvait se laisser
fléchir, influencer les autres souverains ; cela n’arrangeait guère les
royalistes.
    — Comment savoir ce que trame Buonaparte, disait
Sémallé. Nous avons un espion à Fontainebleau, non ?
    — Un domestique, Chauvin.
    — Il est devenu muet ?
    — Il s’inquiète, il faut le remplacer. Dans son dernier
message, il se disait prêt à accueillir l’un des nôtres. Il le ferait engager à
sa place, comme son cousin, sous un prétexte.
    — Qui ?
    — Pourquoi pas moi ? proposa Octave en sautant sur
l’occasion de rejoindre Fontainebleau.
    — Vous ? s’étonnaient à la fois Sémallé et le
marquis.
    — Pourquoi pas ? J’ai un avantage : personne
ne me connaît dans l’entourage impérial.
    — J’en conviens, mon cher, mais saurez-vous tenir un
rôle de domestique ?
    — En émigration à Londres, vous savez, nous avons
survécu en exerçant mille et un métiers peu conformes à notre rang. Nous
devenions colporteurs, j’ai même connu un vicomte acrobate, mais oui, et M me  de Montmorency
était porteuse d’eau…
    — Soit. L’idée n’est pas mauvaise.
    Le comte ouvrit l’un des tiroirs de son bureau, y prit un
camée qu’il tendit à Octave, c’était une tête de nègre sur une agate.
    — Quand Chauvin verra cette bague, il comprendra. Reste
à arranger votre départ de Paris et votre voyage jusqu’à Fontainebleau ;
la ville est fermée depuis cet après-midi.
    — Je m’en charge, dit La Grange.
     
    M. de Sémallé détestait perdre

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