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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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se
dégourdissait les jambes en montant à pied une côte quand une voiture le
doubla ; elle stationna sur le bas-côté quelques dizaines de mètres plus
loin. Un homme en sortit, casquette de voyage sur la tête, et il se planta au
milieu de la route, les mains dans le dos. L’Empereur marcha droit sur lui.
C’était Augereau, duc de Castiglione, vêtu en péquin. Maréchal et aventurier,
ce fils d’un fruitier de la rue Mouffetard avait été maître d’escrime à Naples,
il avait vendu des montres à Constantinople, donné des leçons de danse, servi
dans l’armée russe et enlevé une jeune Grecque pour s’en aller vivre à
Lisbonne.
    Le Directoire l’avait couronné de lauriers et Napoléon
couvert d’or. Voilà le véritable héros d’Arcole, qui remplaça Bonaparte tombé
dans un fossé avant le pont, celui de Millesimo, Ceva, Lodi, le chef de l’armée
du Rhin puis de l’armée de Catalogne ; devant l’avance autrichienne il
avait abandonné Lyon sans combattre, fatigué par la guerre. Le comte Bertrand
informa Octave sur l’identité de ce fameux maréchal dont il ne connaissait que
le nom ; Octave se prit à rêver au pouvoir de Gygès, roi de Lydie que son
anneau rendait invisible : tellement de scènes significatives restent sans
témoins, comme cette entrevue de hasard dont il ne pouvait approcher ; il
se contentait d’en deviner la tournure de loin, à l’attitude des deux anciens
compagnons d’armes. L’Empereur avait ôté son chapeau, l’autre gardait sa casquette
et un air insolent. Devenu invisible, Octave se serait glissé entre eux et il
aurait entendu une conversation brève et brutale.
    — Bonjour, monsieur le duc de Castiglione, disait
Napoléon.
    — Duc de quoi ? D’un village pouilleux que j’ai
tenu malgré tes ordres contre des Autrichiens ? Castiglione, ah oui ça
sonne, mais ça sonne creux, comme tout ce que tu donnes et tout ce que tu as
fait.
    — Je me suis trompé sur les hommes.
    — Non, c’est toi qui les as trompés.
    — Vous me devez votre fortune, monsieur le duc.
    — Tu ramènes tout à toi !
    — Partez me cracher dessus à Paris, monsieur le duc,
les Bourbons vous récompenseront.
    — Tu es aussi rapace que ton aigle ! Regarde où tu
nous as menés.
    — Allez reposer avec vos rancunes !
    — Je ne suis plus ton pantin !
    Augereau mit deux doigts à la visière de sa casquette.
Napoléon s’enfonça le bicorne sur le front ; montrant le dos au maréchal,
il retourna vers sa voiture à grands pas. Plus tard, comme tous les passagers
étaient descendus des berlines qui allaient traverser l’Isère sur des bacs, Sir
Neil Campbell lui montra un ordre du jour signé par Augereau que des soldats à
cocardes blanches lui avaient remis à Valence. Napoléon demanda ses lunettes à
Bertrand et lut ce texte sans émotion :
     
    Vous êtes délivrés de vos serments… Vous l’êtes par
l’abdication d’un homme qui, après avoir immolé des milliers de victimes à sa
cruelle ambition, n’a pas su mourir en soldat. Jurons fidélité à
Louis XVIII et arborons les couleurs vraiment françaises…
     
    L’Empereur déchira cette proclamation en rubans et dit à
l’Anglais :
    — Le duc de Castiglione m’a confirmé tout cela.
    Et il jeta les morceaux de ce texte qu’un coup de vent
emporta dans les flots vifs de l’Isère.
     
    À Montélimar au soleil couchant, l’Empereur eut une longue
discussion avec le sous-préfet, M. Gaud de Rousillac : il entrait en
territoire hostile et regretta d’avoir congédié son escorte de chasseurs à
Nevers. Le Midi avait l’âme royaliste depuis toujours. Il l’avait oublié,
pourtant il le savait. Au lendemain de Thermidor, les habitants de Tarascon
avaient précipité soixante républicains par-dessus les murailles du
château ; à Aix ou à Nîmes, des Provençaux avaient égorgé sans distinction
les occupants des prisons ; des loups revenaient attaquer les
hameaux ; des bandes armées, composées de déserteurs, marchaient la nuit
et pillaient la région des Alpilles aux Landes. Des Marseillais apprenaient le
russe pour parler à leurs libérateurs parce que Souvorov remontait alors de
Milan vers les Alpes. Napoléon avait connu cette époque. Il crut la retrouver à
Donzère qui fêtait la Restauration. « À bas le tyran ! Vive le
roi ! » criait-on au passage éclair des voitures frappées de l’aigle.
Voulant s’épargner les quolibets et éviter des coups de

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