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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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fusil, l’Empereur
s’établit dans la calèche du commissaire autrichien, le général Koller ;
il lui demanda :
    — Votre postillon peut-il fumer ?
    — Sans doute, mais pas s’il transporte Votre Majesté.
    — Justement si ! Cette familiarité prouvera que je
ne suis pas à bord de votre voiture, et puis vous, tiens, si vous
chantiez ? Vienne est la capitale de l’opéra, non ?
    — Sire, je chante atrocement faux…
    — Eh bien sifflez ! Tout le monde sait
siffler ! Montrez de l’irrespect, que diable, pour cacher ma
présence !
    Le général Koller s’efforça de siffloter du Mozart qu’on ne
pouvait reconnaître tant il l’estropiait. Napoléon se renfrogna dans un coin de
la banquette et fit semblant de dormir quand ils roulèrent dans les rues
d’Orange. Il fallut cependant s’arrêter au relais de poste à la sortie de la
ville, et changer les chevaux. Un drapeau à fleurs de lys pendait au toit des
écuries. Le comte Bertrand profita de cet arrêt forcé, pendant lequel
l’Empereur se terrait, et il s’entendit avec Campbell :
    — Colonel, dit-il, notre convoi attire trop
l’attention. Par prudence, nous devrions le diviser.
    — Vous avez raison.
    — Partez en avant pour nous ouvrir la route, votre
uniforme anglais vous protège, les Méridionaux semblent aimer vos compatriotes.
    — Je le crois, monsieur le comte.
    — Emmenez avec vous les deux voitures des cuisiniers et
des valets, avec leurs provisions ; au besoin ils pourront arranger une
cantine en rase campagne si les villes s’avèrent trop remuantes.
M. Sénécal vous accompagnera à cheval, il assurera la liaison entre vous
et Sa Majesté. Nous nous retrouverons tous, si possible en empruntant des
chemins différents, dans deux jours au port de Saint-Tropez.
    —  Well, votre plan me paraît sage.
    Octave s’en alla donc avec Campbell et les deux calèches de
l’intendance. Ils entrèrent en Avignon à quatre heures du matin. La ville ne
dormait pas. Au contraire, elle était en liesse. Sous des guirlandes de
lampions multicolores et au son d’orchestres discordants, on dansait, on
faisait des farandoles, on chantait à tue-tête, on buvait un vin lourd qui
tournait les têtes. Des prisonniers espagnols fraîchement libérés jouaient de
la mandoline et agitaient leurs castagnettes. Les réfractaires que traquait la
gendarmerie impériale étaient descendus des montagnes où ils se cachaient, ils défilaient
sous les bravos, une pomme de pin au chapeau. Devant la porte de l’Hôtel de
Ville, un grand portrait de Napoléon était en train de brûler ; des
notables jetaient son buste par une fenêtre : il se brisa sur les pavés
parmi les cris de joie. Les cloches sonnaient à la volée, des drapeaux blancs
sortaient des fenêtres de tous les immeubles, la population entière portait la
cocarde des Bourbons, sur les bonnets, au revers des vestes, épinglée aux
cheveux des danseuses.
    Non loin de la place de la Comédie où veillaient des hommes
en armes, les berlines se rangèrent à côté du coche qui partait pour Lyon aux
premières heures du jour, décoré d’une ribambelle de petits drapeaux blancs. La
garde urbaine contrôlait les voyageurs.
    — Hé ! dit un garçon, l’oiseau de malheur !
    Il montrait du doigt les armoiries impériales peintes sur
les flancs des voitures de l’intendance. Il y eut tout de suite un
rassemblement. Une espèce de berger hirsute, en paletot de laine écrue, ouvrit
l’une des portières et en tira par le col un cuisinier terrifié qui protestait
d’une voix mourante, sous les jurons. Octave avait sorti de sa poche la cocarde
blanche qu’il portait chez Sémallé, à Paris, il la fixa au ruban de son chapeau
et put s’interposer :
    — Mes amis ! mes amis ! que cherchez-vous ?
    — Serait pas caché sous un d’vos coussins, le
tyran ?
    — Si vous parlez de l’ancien Empereur, il n’est pas
avec nous.
    — Vous êtes qui ?
    — Un représentant du gouvernement provisoire de Sa
Majesté Louis XVIII.
    — À la bonne heure ! dit le berger.
    — Alors criez Vive le roi ! dit un
rigolard.
    — Vive le roi ! cria Octave qui en avait
l’habitude.
    — Vive le roi ! cria la petite foule.
    — Les autres aussi ! continuait le berger.
    Valets et cuistots s’exécutèrent pendant qu’on leur
accrochait des cocardes aux chapeaux et que des Avignonnais, avec des seaux de
goudron, badigeonnaient les aigles détestées qui brillaient trop

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