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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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sur les
voitures. Le colonel Campbell, lui aussi sorti de sa berline, négociait avec un
capitaine de la garde urbaine. Libre de ses mouvements grâce à son titre usurpé
et aux couleurs royalistes qu’il portait sans qu’on les lui impose, Octave tira
son cheval et s’approcha de Campbell.
    — Le capitaine Montagnac commande ce poste, lui dit
l’Anglais. Il m’explique les dangers que court l’Empereur.
    — Je les suppose, mais il ne peut pas éviter Avignon,
un détour serait trop long et pas moins incertain.
    — L’escorte est-elle suffisante ? demanda le
capitaine.
    — Elle est inexistante.
    — Prêtez-nous main-forte, dit Campbell, et Octave
ajouta :
    — Pouvez-vous assurer la protection de Sa Majesté le
temps de changer les chevaux ?
    — Je vais essayer…
    Ce brave Montagnac rameuta son faible détachement de gardes
en sabots, pétoires en main, quelques sabres ébréchés à la ceinture ; la
plupart d’entre eux bâillaient ou se frottaient les yeux, ils avaient participé
aux fêtes qui chamboulaient Avignon depuis que les journaux reçus de Paris
confirmaient la Restauration. Quand la dormeuse de l’Empereur et deux voitures
de sa suite vinrent se garer à six heures du matin derrière celles de Campbell
et de l’intendance, les chevaux frais étaient déjà sortis ; des
palefreniers dételèrent en vitesse sous l’œil inquiet mais vigilant du
capitaine Montagnac. Comment contenir les gens avinés, très excités, qui
s’intéressaient maintenant en foule et de trop près aux voyageurs ? Ils
vociféraient, enrageaient à la vue des armoiries impériales, rejetaient les
gardes qui ne résistaient guère, cherchaient le tyran pour l’écharper, crurent
l’entrevoir au fond de la calèche du général autrichien. L’un d’eux mit la main
sur le bouton de la portière mais Octave le retint par l’épaule, levant même sa
canne pour l’assommer d’un coup de pommeau quand Montagnac l’écarta :
    — Malheureux ! arrêtez !
    — Restez tranquille, monsieur Sénécal, dit l’Empereur
par la vitre ouverte.
    — Faites dégager la voiture ! ordonna le capitaine
à ses gardes. Et vous, dit-il au cocher, filez au grand galop !
    — Merci capitaine, dit encore l’Empereur. Je me
souviendrai de vous.
    — Filez, bon Dieu !
    Aussitôt les chevaux attelés, le cortège des six voitures
démarra en trombe, levant de la poussière sous les fouets des cochers et les
jets de pierres. En enfourchant son cheval, Octave aperçut le comte Bertrand,
impassible et seul dans la dormeuse. Sa vitre était brisée ; avec son
gant, il secouait les éclats de verre tombés sur sa manche.
     
    Napoléon avait examiné la carte d’état-major de la région,
il avait rayé d’un trait les bourgs trop importants d’où ne pouvaient naître
que des violences, mais il avait entouré le nom d’Orgon : il prévoyait de
déjeuner dans ce village qui lui rappelait un épisode de sa jeunesse militaire,
pas une jeune fille, oh non, une expédition punitive contre des aristos
récalcitrants ; avec leurs paysans, ils assassinaient sans pitié les
soldats qui allaient et revenaient de l’armée d’Italie cantonnée dans les
parages de Nice. La situation n’avait guère changé malgré les années, ce qu’il
apprit lorsqu’un des courriers envoyé en éclaireur fit stopper le convoi en
avant de cette bourgade :
    — Les villageois nous attendent sur la place, je n’ai
pas trop osé m’approcher mais on dirait bien que des forcenés leur échauffent
la tête.
    — Y a-t-il un autre chemin pour rejoindre la route
d’Aix ? demanda Bertrand, le nez à la portière.
    — Hélas non, monsieur le comte, faudrait retourner du
côté d’Avignon.
    — Ah non !
    L’Empereur était sorti de la calèche du général Koller et
s’avançait au bord de la route jusqu’à la première voiture.
    — Dans ce cas, dit le courrier, faut passer rapidement
et foncer dans le tas…
    — Comment vous nommez-vous ? demanda l’Empereur.
    — Loisellier Antoine, sire.
    — Déshabillez-vous, monsieur Loisellier.
    — Sire ?
    — Faites ce que je vous dis, âne bâté ! Je vous
remplace et vous me remplacez.
    — Moi ?
    — Eh oui, nigaud ! Votre vie vaudrait plus cher que
la mienne ?
    — J’ai pas dit ça, mais…
    — Il n’y a pas de mais qui tienne !
    Loisellier, ce pauvre Loisellier, descendit de cheval et dut
obéir. Napoléon fit de même, il tendit à Bertrand son bicorne,

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