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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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confisquées. Au contraire, l’Empereur lui offrait une coupe de
ce champagne rosé dont il était le seul à boire un demi-verre au dessert. Il
lui donna même sa propre tasse de moka : « Buvons à la santé de notre
île ! » M. Pons ignorait que l’Empereur savait enjôler les plus
récalcitrants, si les menaces échouaient. Une bonté affichée, des sourires
avaient souvent été plus efficaces que les canons. M. Pons succomba à
cette offensive, lui aussi, et il versa dès le lendemain au trésorier Peyrusse
les deux cent mille francs qu’il conservait pour la Légion d’honneur.
     
    Une série de détonations réveille brutalement Octave. Des
coups de feu, pense-t-il aussitôt, et il se lève sans même enfiler une chemise,
écarte les rideaux, voit des Elbois courir dans la rue. Le soleil est déjà
brûlant mais ils courent. « Che sé passe ? » lui demande Gianna
avec cette humeur de dogue des gens qu’on sort trop tôt du sommeil. « Des
coups de feu. » Octave s’habille en vitesse, le front soucieux, et quand
Gianna lui dit : « Tou té vas ? » il réplique :
« Oui, je m’en vais. Il faut que je sache. » Elle remonte le drap sur
son visage, agressée par la lumière vive ; elle soupire ; il lui
caresse les cheveux et quitte la chambre en posant des pièces d’or sur un
guéridon. En bas, il traverse la salle du Buono Gusto que le patron
arrange en dortoir, chaque nuit, pour les voyageurs qui n’ont pas trouvé un
logement ; il enjambe des matelas déjà roulés, quelques dormeurs tardifs,
le voici dans la rue du Grand-Rempart. Il y a de l’agitation mais pas
d’affolement, les passants bavardent, plutôt joyeux, autour d’une rumeur qui
circule, nullement abattus par la chaleur tropicale. Octave se mêle à un groupe
quand il reconnaît l’adjoint du maire.
    — Sur qui a-t-on tiré ?
    — Sur personne, monsieur Sénécal.
    — Je ne suis pas sourd !
    — Des garnements ont allumé des pétards.
    — Pour fêter quoi ?
    — Un brick sans pavillon a jeté l’ancre dans la baie.
    — Et alors ?
    — La douane est montée à bord.
    — Comme d’habitude.
    — Pas exactement, monsieur Sénécal.
    — Qu’est-ce que les douaniers ont découvert de si
réjouissant ?
    — L’impératrice et le roi de Rome, voilà, et notre île
s’apprête à saluer l’événement. Depuis le temps que nous en parlons !
    Octave en resta la bouche ouverte. Il n’y croyait pas. Il
savait que l’Empereur avait envoyé la semaine précédente un capitaine de sa
Garde à Aix-les-Bains : époux d’une dame d’honneur de Marie-Louise, il
devait accéder par son truchement à l’impératrice, et la convaincre de
s’embarquer pour Elbe, mais comment aurait-il pu la ramener si vite, sans
encombre ? Des douaniers avaient pourtant discuté avec les marins napolitains
du brick ; à bord, parmi leurs passagers, ils comptaient une jeune femme
blonde et un garçonnet de quatre ou cinq ans qui parlait de son papa-empereur.
Octave marcha sous les arbres jusqu’à la mairie, en écartant les regroupements
de bavards qui répétaient la nouvelle en l’amplifiant par mille détails
inventés. Le comte Bertrand était dans son appartement, en uniforme, très
agacé :
    — Peste soit des ragots et de cette île !
    — Comment les interrompre, monsieur le comte ?
    — Je ne sais pas, c’est bien ce qui m’empoisonne.
    — On ne peut pas démentir ?
    — Non.
    — Parce que c’est vrai ?
    — Non plus.
    — Les douaniers n’ont tout de même pas inventé…
    — Non.
    — Et il ne s’agit pas de l’impératrice ?
    — Non, non, trois fois non !
    — Alors qui est-ce, monsieur le comte ?
    — M me  Walewska.
    Octave n’avait pas été mis dans cette confidence, mais
Bertrand fut obligé de le renseigner pour qu’il l’aide à désamorcer la fausse
nouvelle sans dire la vérité. L’Empereur était monté depuis quelques jours à
l’ermitage de la Madone, au-dessus de Marciana Alta où il avait logé sa
mère : Porto Ferraio était en feu et sans un souffle d’air, la montagne
paraissait plus clémente pour la vieille dame ; caché derrière cet alibi,
Napoléon attendait en réalité sa jeune maîtresse polonaise, il lui avait même
envoyé un billet de sa propre main qu’il terminait par cent tendres choses. À
Fontainebleau, pendant le naufrage de l’Empire, seule Marie Walewska était
venue soutenir Napoléon. Assommé par les événements,

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