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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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il ne l’avait pas reçue.
Elle avait attendu une nuit entière, sur le sofa d’un couloir. Son frère Teodor
était venu à Elbe, au début du mois d’août, préparer incognito ce voyage. Tout
cela était resté secret. La visite ne devait pas s’ébruiter. L’Empereur
veillait de près aux mœurs de ses sujets, il fulminait contre le concubinage,
poussait ses officiers à épouser des Elboises, refusait de recevoir aux Mulini
les couples non mariés, alors, dans ce cas, comment pouvait-il officiellement
recevoir sa maîtresse ?
    — Croyez-vous qu’on puisse éteindre la rumeur ?
demandait Bertrand.
    — Une rumeur qui court, on ne peut pas l’étouffer,
monsieur le comte…
    — M me  Walewska ne va tout de même pas
tenir le rôle de l’impératrice !
    — Je peux essayer de dévier les ragots…
    — Faites comme vous voulez, monsieur Sénécal, mais
arrangez cette histoire ! Retrouvez-moi dans deux heures aux écuries
impériales.
    Sur la place d’Armes, les habitants accrochaient déjà des
lampions aux branches des marronniers. Octave s’avança vers l’adjoint qui
dirigeait l’opération :
    — Ces illuminations sont prématurées, monsieur Hutré.
    — Quoi ? La bonne nouvelle serait mauvaise ?
    — À moitié…
    — Est-ce l’impératrice ou non ?
    — Oui, c’est elle, avec son fils, à bord du navire
napolitain, mais ils ne vont pas séjourner longtemps.
    — Hein ?
    — Ils font une courte halte avant d’aller à Parme, ou à
Rome, j’ai oublié, enfin, ils reviendront cet hiver quand tout sera prêt pour
les accueillir de façon définitive.
    L’adjoint au maire, dépité, fit signe qu’il comprenait mais
il ajouta :
    — Comment expliquer cette déconvenue à nos
compatriotes ?
    — Simple. Vous n’avez qu’à décrocher vos lampions,
alors on vous demandera pourquoi, alors vous répéterez ce que je viens de vous
dire.
    — Ils ne me croiront jamais.
    — Vous confierez à ceux qui vous questionneront, en
baissant la voix : « Surtout, ne le répétez pas. » En un rien de
temps, toute l’île sera prévenue.
     
    Un équipage attelé de quatre chevaux attendait dans un champ
d’oliviers, près du hameau de San Giovanni, au bord de la baie. Le cocher et des
valets, affalés à l’ombre de la voiture, buvaient l’eau tiède d’une gourde en
peau qu’ils se repassaient. Plus loin, des chevaux de selle et des mules
étaient attachés à des troncs. Debout sur la plage de galets, Bertrand et
Octave faisaient le pied de grue.
    Quand le jour se mit à baisser, Bertrand alluma au briquet
un feu de branches préparé sur le rivage. À ce signe, une chaloupe descendit
pendue à ses filins contre la coque du navire en panne à cent mètres de la
côte. Il n’y avait pas un souffle de vent, on n’entendait plus que les rames
plongées en rythme dans l’eau calme. Le cocher avait repris sa place sur la
banquette, les valets détachaient les chevaux et les mules. Le comte Bertrand
marchait au bord des vagues, il tendait une lanterne. Les marins accostent, ils
portent dans leurs bras une première passagère, pour qu’elle ne trempe pas le
bas de sa robe de faille grise. C’est Marie. Elle a le visage masqué par une
voilette mais Bertrand la reconnaît à sa taille frêle, à ses manières, à sa
façon de tenir son fils par la main. Sa sœur Émilie vient ensuite, puis Teodor,
le frère, mouillé jusqu’aux genoux. Ils ne perdent pas de temps. Les bagages
une fois ficelés sur le dos des mules, ils roulent le long de la mer ;
deux palefreniers indiquent le chemin avec leurs lanternes. Des falaises, des
vallées et des collines, pendant deux heures ; des cactus encadrent les
vignes qui tombent sur une crique. Ils passent au village de Biadola,
s’arrêtent plus loin, sur la route de Proccio, dès qu’ils aperçoivent un falot
qui se balance dans le noir. L’Empereur, à cheval, dans son uniforme ordinaire
de colonel, confie cette lumière à un lancier d’escorte, il met pied à terre,
ouvre la portière de la berline. Marie soulève sa voilette, il lui baise la
main, embrasse le petit Alexandre, leur fils, qui se réveille à peine, salue
Teodor et la jeune Émilie. La caravane poursuit au trot, en se fiant à la lune
et à la pâleur des lanternes.
    Vers minuit, ils aperçurent une tour cylindrique au bout
d’une plage, dans un halo, entre les pins et les mélèzes de la route qui
grimpait vers Poggio, village tassé sur un piton autour

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