L'absent
d’une source dont
l’Empereur gardait des barriques aux Mulini, tant son eau était bienfaisante
pour la santé. Les oiseaux dormaient. L’air était doux, il sentait la menthe et
la térébenthine. À deux kilomètres de là, à Marciana Alta, ils durent
abandonner la berline pour emprunter une piste de pierres plates où couraient
des ruisselets. Napoléon s’empara du petit Alexandre, qu’on aurait pu confondre
avec le roi de Rome, car les demi-frères se ressemblaient beaucoup ; il
cala l’enfant endormi sur sa selle, contre son gros ventre. Ils allaient ainsi
en procession, l’Empereur et les dames sur des mulets, les hommes à pied et
portant des torches. Au débouché d’un tunnel de châtaigniers ils se
retrouvèrent devant l’ermitage de la Madone. Le campanile crénelé de la
chapelle se découpait sur la lune, avec ses meurtrières mauresques. Pas un
bruit, sinon celui des fontaines qui bouillonnaient dans leurs bassins sculptés.
La tente impériale était dressée devant. Un souper y attendait les voyageurs.
Attablés à la lumière de flambeaux, ils parlèrent de la
traversée en bateau, du calme de l’île d’Elbe, de la chaleur de cette fin
d’été. Napoléon complimenta la jeune Émilie qui, de son côté, mais sans le
dire, pensait que Napoléon avait la mine d’un gros propriétaire malgré son
uniforme célèbre. L’Empereur dit à Marie Walewska : « Madame la
comtesse, pourquoi votre sœur n’épouserait-elle pas un officier français ? »
On rit. On mangea. On but des boissons fraîches. Le petit Alexandre somnolait
sur son fauteuil rehaussé de coussins et son père l’asticotait.
« Laisse-moi manger ! » protestait l’enfant, la bouche pleine.
On s’amusa d’une pareille sincérité, mais Napoléon ne regardait que Marie,
blonde et gracile, une écharpe d’hermine jetée sur les épaules. Elle devait
aller aux eaux de Lucques ou de Pise, elle n’avait pas encore décidé, mais en
réalité elle partait en Italie pour Alexandre qui bénéficiait d’une dotation
dans le royaume de Naples. Elle allait donc voir Murat. Elle voulait obtenir de
lui le paiement des intérêts et qu’il ne mette pas sous séquestre ce revenu
accordé naguère par l’Empereur. Murat. C’est lui qui avait choisi Marie, à
Varsovie, pour distraire Sa Majesté pendant l’hiver pluvieux de 1806. Elle
n’avait pas vingt ans, de longues tresses, une robe blanche, une couronne de
feuillages mais aucun bijou ; elle avait dansé avec Napoléon au bal de
Talleyrand…
Et puis chacun se retira fatigué de sa journée ; les
visiteurs dans les chambres modestes de l’ermitage, le gardien étant relégué à
la cave ; Napoléon et Bertrand sous leur tente de campagne. Les autres,
chambellan, valets et gardes dégringolèrent le sentier jusqu’à Marciana. Octave
préféra passer la nuit à la belle étoile ou presque, pour surveiller les
abords, dans l’une de ces guérites en bois qui jalonnaient le chemin de la
procession annuelle et servaient alors de reposoirs. Quand la pluie se mit à
tomber, d’abord fine, virant bientôt à l’orage, il s’y trouva heureusement à
l’abri des éclairs et de la trombe d’eau.
— Sénécal !
Napoléon sortait de sa tente à moitié habillé. Octave arriva
en courant, du savon à barbe au menton.
— Où étiez-vous ?
— Sire, je me rasais dans la sacristie.
— Dans la sacristie ? Mécréant !
Dépêchez-vous, nous allons à Marciana.
Il entendait sans doute rendre visite à Madame Mère, et
Octave mania son coupe-chou avec une telle célérité qu’il se tailla une joue,
pesta, s’aspergea d’eau de source, mais quand il revint devant la tente, enfin
prêt, le docteur Foureau de Beauregard arrivait à califourchon sur un âne,
luisant, cramoisi ; un mouchoir dépassait du chapeau pour protéger sa
nuque du soleil. Il proposa ses services d’une voix docte :
— Sire, me voici.
— Hélas je le vois !
— J’ai imaginé que la souveraine et le prince héritier
pouvaient avoir besoin d’un médecin.
— Ils se portent à merveille. Mais comment savez-vous
qu’ils sont avec moi ?
— J’ai des oreilles, sire, et de bons yeux. Les
habitants de Porto Ferraio ne parlent que de ça, ils préparent en ce moment la
réception.
Napoléon se tourna vers Octave :
— Monsieur le grand maréchal m’a juré que vous aviez
réglé ce problème, et les commérages continuent ?
— J’ai essayé de les
Weitere Kostenlose Bücher