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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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détourner, sire.
    — Où est-il, au fait, le grand maréchal ?
    — Le comte Bertrand a rejoint son épouse en ville,
sire, elle risque d’accoucher…
    — J’avais oublié. Allez me chercher le comte Alexandre.
    Octave fila dans l’ermitage et réapparut avec l’enfant qui
faisait la moue comme son père. L’Empereur s’assit sur une chaise posée dans
l’herbe, il prit son fils sur les genoux :
    — Comment le trouvez-vous, charlatan ?
    — Le roi a bien grandi…
    — Retournez en ville et n’en parlez à personne. Sa mère
et lui doivent repartir, mais ils reviendront.
    Le fâcheux se perdit en courbettes et remonta sur son
bourricot, en nage mais heureux d’avoir surpris un secret. Octave s’en
amusait : l’Empereur avait utilisé le même argument et presque les mêmes
mots que lui pour dévier la rumeur ; les porteurs d’un secret aiment le répéter
pour se faire mousser, mais ici cela ne servait à rien puisque les Elbois
n’entendaient que ce qu’ils avaient envie d’entendre, et les démentis, même
déguisés, tournaient court. Cette visite imprévue, néanmoins, changea le
programme et il ne fut plus question de descendre à Marciana, d’où montait déjà
le repas cuisiné chez Madame Mère, dans de grandes panières portées à dos de
mules. Traditi, le maire de Porto Ferraio, menait ce convoi de bouche ; il
avait été promu chambellan et se rengorgeait dans son nouveau costume brodé. On
prit le déjeuner sous la tente. Sa Majesté découpa les viandes comme un
bourgeois qui reçoit dans sa campagne. La conversation demeura volontairement
futile, on parla beaucoup mais de rien et l’Empereur s’éclipsa avant les
desserts parce qu’il avait besoin de s’isoler. Avec un officier d’ordonnance et
l’un des grenadiers qui assurait la sécurité des environs, Octave suivait son
maître du regard, sans jamais le perdre de vue jusqu’au moment où il entra dans
la chapelle de crépi rose et blanc. C’est là que vers une heure de l’après-midi
le chambellan lui amena son fils et la comtesse Walewska qu’il avait demandés.
Peu après, Octave les vit ressortir ensemble. Marie avait ouvert son ombrelle
et l’Empereur portait le petit Alexandre sur ses épaules. Ils montèrent un
sentier bordé de figuiers d’Inde d’un vert brillant, qui poussaient dans la
terre sèche entre les roches ; ils respiraient le parfum des cyclamens
mauves et tardifs, se promenaient comme une famille le dimanche.
    Seuls, épiés mais de loin, il n’y avait plus de souverain ni
de comtesse, ils bavardaient sans protocole, c’est-à-dire que Napoléon partait
dans de longs monologues inspirés par la nature de son minuscule royaume :
    — Ces couleurs, ces odeurs, c’est la Corse, Marie. Si tu
savais comme j’ai été perdu la première fois que mon père nous a expatriés sur
le continent, Joseph et moi. Nous nous sommes retrouvés bien isolés, mais lui
était plus grand et destiné au séminaire, moi je n’avais pas dix ans, on
m’avait bouclé dans un collège, à Autun, pour y apprendre le français dont je
ne parlais pas un mot. Il n’y avait pas d’orangers pour fleurir au printemps,
pas de montagne, pas de soleil, aucun parfum de maquis. Nous mangions des
viandes lourdes, noyées de sauce brune pour en cacher le faisandé. J’étais
sauvage, malingre, j’avais envie de courir dans la forêt, de jeter des
cailloux. Les autres se moquaient de ma petite taille et de mon accent, oh,
Marie, comme j’ai pu haïr les Français !
    Ils avaient atteint ce promontoire d’où l’on voyait la
Corse, et des îlots que Napoléon désigna, à gauche Capraja, à droite Pianosa,
là-bas, tout au fond, Montecristo. « De Bastia aussi, dit-il, on distingue
ces îles. » Une forte brise soufflait du large et, sur le retour,
l’Empereur interrogeait son fils qui tapait les fougères avec une
brindille :
    — Tu as des camarades ?
    — Alexandre est sérieux et solitaire comme vous
l’étiez, répondit sa mère.
    — Tu préfères apprendre à lire ou monter à
cheval ?
    — J’ai un petit cheval mais je suis tombé deux fois par
terre.
    — Moi aussi, je suis tombé de cheval.
    — Si tu tombes, toi, c’est pas pareil.
    — Et pourquoi ?
    — Parce que ça me fait moins mal que si c’est moi.
    L’Empereur éclata de rire, ce qui ne lui arrivait qu’avec
les enfants, et il en était souvent entouré, notamment à Saint-Cloud ; ils
jouaient autour de lui pendant

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