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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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d’argent,
dit Marie.
    — Je ne manque de rien, répondit l’Empereur, à la fois
étonné et cassant.
    — Si, je le sais.
    — Ah, vous avez bavardé avec ce maudit Pairousse !
    La comtesse déposa un paquet bien emballé sur le guéridon où
Octave avait écrit la missive pour Drouot.
    — Que faites-vous, Marie ?
    — Puisque vous me renvoyez, je ne mettrai plus ces
bijoux.
    — Moi, vous renvoyer ?
    — Alors, donnez-moi une petite maison, et je reste avec
notre fils.
    — Elbe est un village, ce n’est pas possible, vous
risquez de donner prise à toutes sortes de vilains commérages…
    — L’impératrice et le roi de Rome ne vous rejoindront
jamais.
    — Marie-Louise le souhaite, mon fils le demande.
    — L’Autriche s’y oppose.
    La comtesse sortie, l’Empereur ouvrit le paquet ; dans
les écrins il vit des broches, des boucles d’oreilles, des bracelets, le
collier qu’il lui avait offert après la naissance d’Alexandre. Il referma les
écrins et personne ne le vit réapparaître jusqu’à la soirée. Il était allé
chasser, prétendait-il, avec un officier et des fusils, mais il n’avait
rencontré aucun gibier, pas un lièvre, pas une perdrix. Le dernier dîner fut
plus triste que les précédents, et plus grave. L’Empereur n’arrêta pas de
parler, sans demander qu’on lui réponde, et il aborda des sujets variés,
passant de l’un à l’autre sans transition ; il expliqua comment il fallait
débroussailler les forêts ou élever les moutons ; il commenta les rapports
que des partisans lui faisaient parvenir de France, où les royalistes se
faisaient haïr par le peuple, avec leur morgue et leurs abus, il citait des
articles de journaux, évoqua Marie-Louise.
    Ce fut enfin le départ de sa famille polonaise. Le temps
était lourd, les nuages noirs, pommelés, gon-fiés de pluie. De Marciana Alta à
Marciana Marina, de la montagne à la mer, la voiture cahotait, les chevaux
étaient nerveux. Dans ce calme trompeur et pesant qui précède les orages, les
roues grinçantes, les pas sur les cailloux revenaient aux oreilles multipliés
par leurs échos. La résine des torches fumait. Au bout d’un quart de lieue,
l’Empereur fit ses adieux en distribuant des cadeaux. À Marie, il tendit une
enveloppe qui contenait ses bijoux, dont il ne voulait pas la dessaisir, mais
elle l’ouvrirait plus tard, puis il donna un écrin à Émilie, des boîtes de
jouets et des friandises au petit Alexandre, recroquevillé au fond de la
berline, effrayé par un tonnerre lointain. Napoléon remonta vers l’ermitage,
laissant un peloton de cavalerie en escorte.
    Il est sous sa tente quand la pluie cingle la toile et la
charge d’eau par poches. Il enfile sa redingote, enfonce son chapeau et
appelle. Une fois encore il tombe sur Octave qui joue aux cartes dans la
chapelle, avec des gardes, sous une veilleuse faiblarde. L’orage éclate. Le
tonnerre redouble et se rapproche. Des éclairs illuminent plusieurs fois de
bleu les carreaux de la chapelle. Napoléon s’inquiète, ses lèvres tremblent, il
se tord les mains. Marie va-t-elle pouvoir s’embarquer sans risques ? Le
brick ne va-t-il pas se fracasser sur les récifs, si nombreux tout au long de
la côte ? Il s’emporte, il imagine la catastrophe. Octave refuse le cheval
d’un officier polonais, il enfourche un mulet, moins rapide mais plus sûr, et
part aux nouvelles, les yeux brouillés de pluie et sans lumière. Il dévale dans
l’obscurité, contre la paroi, contre les arbres serrés, le chemin étroit qu’il
connaît, parvient à Marciana Marina malgré le vent qui fouette. Il n’aperçoit
pas les fanaux du navire. Serait-il parti ? Où est-il ? Et les
voyageurs ? Le capitaine du port, tiré de son lit, le renseigne :
    — Ils sont plus là, monsieur.
    — Mais où ? Sur le brick ? Par cette
tempête ?
    — Non, ils ont pas pu s’embarquer, monsieur, mais j’ai
prévenu le bateau par signaux optiques, avant la grosse pluie, pour qu’il se
déroute sur le cap Vita et qu’il s’ancre à Porto Longone. La baie est abritée,
monsieur, à Porto Longone.
    — Les voyageurs ?
    — C’est que le voilier, il tournait sur ses ancres…
    — J’ai compris ! Les voyageurs, vous dis-je ?
    — Eux, ils étaient pris dans les rafales, pas
vrai ? Ça a même éteint leurs flambeaux, mais ils sont partis pareil, vers
Porto Longone. Ils ont peut-être même rejoint le bateau, à l’heure qu’il est,
mais moi je

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