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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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sais pas, monsieur.
    Les vêtements détrempés, le chapeau dégouttant d’eau, Octave
rebroussa chemin et prévint l’Empereur, très impatient, qui frappait de sa
cravache les chaises de la chapelle et avisa un lieutenant des lanciers :
    — Réunissez dix hommes, nous y allons !
    Tonnerre, foudre, averse, chevaux affolés, route glissante
sous le déluge, ils chevauchèrent le reste de la nuit et arrivèrent au petit
jour, fourbus, couverts de boue, devant la baie de Porto Longone. L’ouragan
n’avait pas cessé mais le navire de Marie voguait vers Naples.

 
CHAPITRE V
En enfer
    « Bergers,
bergers, le loup n’a tort
    Que
quand il n’est pas le plus fort :
    Voulez-vous
qu’il vive en ermite ? »
     
    LA FONTAINE ,
    Le Loup et les
Bergers ,
    Livre dixième,
fable V.
     
     
    Au mois de novembre, la vie sur l’île se modifia. Le clairon
de la Garde, qui sonnait dans les fortins, réveillait toujours Porto Ferraio,
et la trompette du ramasseur d’ordures, le soir, devant chaque porte, achevait
les journées, mais tout s’adoucit avec l’installation définitive de la
princesse Pauline ; l’existence des Elbois devint moins militaire. Une
modiste parisienne ouvrit une boutique de colifichets près du port et elle
prospéra, parce que les fêtes se succédaient ; on dansait aux Mulini, dans
les salons et sur les places publiques éclairées par des réverbères tout neufs. Sa Majesté ajoute les travaux d’agrément aux travaux de voirie et de défense ,
écrivait Octave dans ses carnets. La princesse Pauline donne le ton. Sur une
placette, à mi-pente, l’église Saint-François servait de magasin de vivres et
de vêtements pour la garnison, eh bien l’Empereur a décidé d’y construire une
salle de théâtre. Comme nous ne sommes pas riches, parce que les salines et les
vignes rapportent peu, et surtout parce que le roi de France ne verse pas la
rente de deux millions promise par le traité de Fontainebleau, l’Empereur a
écouté ce bon Peyrusse, doué d’une imagination redoutable quand il s’agit
d’économiser. Le trésorier a inventé une société d’acquéreurs, vite nommée
« Académie des Fortunés », qui permet aux Elbois d’acquérir pour la
vie une loge ou un fauteuil. Cette astuce doit financer les travaux, car ils
vont coûter une fortune, pensez donc : quatre étages de galeries ! Un
artiste est venu du Piémont pour peindre le rideau de scène, il a présenté ses
dessins : on y verra Apollon instruisant des bergers ; la divinité
ressemblera trait pour trait à Sa Majesté, laquelle, en effet, distribue des
conseils agricoles aux paysans rencontrés pendant ses promenades. L’Empereur
a expliqué à l’un d’eux, l’autre matin, comment s’y prendre pour que ses radis
ne soient pas creux ni trop piquants, car il puise sa science de jardinier dans
une lecture assidue de La Maison Rustique…
    Pique-niques champêtres, cueillettes, farandoles, balades en
canots chargés d’oranges et d’eau fraîche, bals masqués, Pauline entraînait
aussi les plus jolies Elboises et de jeunes officiers à jouer avec elle des
comédies légères. La musique de la Garde donnait des concerts. Les enfants,
chaque jour à midi, défilaient sur la place d’Armes à côté des grenadiers, très
sérieux avec leurs sabres de bois et leurs chapeaux en papier plié, sous les
applaudissements des touristes. Octave accumulait dans ses carnets les
relations de fêtes anodines, mais derrière cette insouciance de façade se
cachait une angoisse : les adversaires de Napoléon conspiraient sans
relâche contre sa vie. Comme le contact avec le continent n’avait jamais été
rompu, des messages parvenaient aux oreilles d’Octave et les visiteurs étrangers
remplaçaient à merveille les gazettes. Lord Douglas, lord Ebrington, des
princes nordiques, des nobles prussiens rapportaient à l’Empereur des
indiscrétions sur les derniers événements. Ils le prévenaient. Des Bavarois
prétendaient savoir qu’une ligue de vertu allemande cherchait à l’exécuter.
D’autres confiaient que des moines fanatiques, venus de Rome et déguisés en
bourgeois innocents, attendaient le moment de l’assassiner. Poggi, le chef de
la police, avait appris la présence d’agents du grand-duc de Toscane, mais les
espions pullulaient sur l’île, travestis de mille façons ; Octave pensait
en souriant qu’ils ne glanaient que des ragots déformés, inutilisables, que ces
amateurs finissaient

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