Labyrinthe
Sant-Vicens. Aussitôt l'intendant y était allé voir par lui-même, et malgré le démenti du consul, il craignait fort qu'Alaïs ne fût dans le vrai.
« Je vous vois bien pensif, mon ami. »
Pelletier se retourna pour faire face à son maître.
« Pardonnez-moi, messire. »
Trencavel écarta l'excuse d'un geste.
« Regardez-les donc, Bertrand ! Ils sont trop nombreux pour que nous puissions les vaincre… et nous n'avons point d'eau.
— Il paraît que Pierre d'Aragon se trouve à peine à un jour de cheval. Vous êtes son vassal, messire ; il vous doit assistance et protection. »
Pelletier n'ignorait pas qu'invoquer l'aide du roi ne serait pas chose aisée : outre fervent catholique, Pierre II était aussi le beau-frère de Raymond VI, comte de Toulouse même s'il était notoire que les deux hommes ne s'appréciaient guère. Il n'en restait pas moins que les liens historiques qui unissaient la maison Trencavel à celle d'Aragon demeuraient inaliénables.
« Les ambitions politiques du roi sont étroitement liées au sort de Carcassona, messire. Il n'a nul désir de voir le pays d'oc sous la tutelle des Français. Pierre-Roger de Cabaret ainsi que vos alliés soutiennent cette action. »
Le vicomte posa les mains sur le mur en face de lui.
« C'est ce qu'ils affirment, en effet.
— Puisqu'il en est ainsi, dépêcherez-vous un émissaire ? »
Répondant à la requête du vicomte, le roi fit son entrée le vendredi de la même semaine, en fin d'après-midi.
« Ouvrez les portes ! Que l'on ouvre les portes pour le rèi ! »
Ce fut fait sans délai. Attirée par le vacarme, Alaïs alla à sa fenêtre, puis descendit voir de quoi il retournait. Elle entendait simplement interroger quelques personnes quand, levant les yeux vers les fenêtres du grand vestibule, elle se dit qu'elle avait trop souvent accès à des nouvelles de deuxième ou troisième main. La curiosité l'emportant, elle décida, cette fois, de prendre connaissance de visu des événements en cours.
Un petit espace séparait le brise-bise de la porte qui séparait le grand vestibule des appartements privés du vicomte. Alaïs ne s'y était plus cachée depuis son enfance, quand elle allait indiscrètement prêter l'oreille aux allocutions de son père. Elle n'était pas même assurée que cet intervalle serait suffisant pour lui permettre de s'y cacher.
Elle monta néanmoins sur un banc qui bordait la cour du Midi pour atteindre une des fenêtres basses de la tour Pinte. Elle s'y hissa, se tortilla sur le rebord et parvint à se glisser à travers l'étroite ouverture.
La chance était avec elle : il n'y avait pas âme qui vive dans l'antichambre. Alaïs sauta sur le sol, puis dans le plus grand silence, ouvrit en tapinois la porte et se coula dans l'espace dissimulé par la tenture. Elle se trouvait si près de l'endroit où se tenait le vicomte, qu'en tendant le bras elle aurait pu toucher ses mains jointes derrière le dos.
Elle arrivait juste à temps. À l'extrémité du grand vestibule, les portes s'ouvrirent pour livrer passage à l'intendant, précédant le roi d'Aragon et nombre d'alliés de Carcassonne, incluant les seigneurs de Lavaur et de Cabaret.
Aussitôt, le vicomte s'agenouilla devant son suzerain.
« Point n'est utile de vous incliner », déclara le roi en l'invitant à se relever.
Physiquement, les deux hommes étaient on ne peut plus différents, ne fût-ce qu'en raison des années qui les séparaient, étant donné que le souverain avait le même âge que l'intendant. Grand, massif comme un taureau, son visage portait les traces des nombreuses campagnes militaires qu'il avait soutenues au cours de son règne. Ses traits lourds au teint mat affichaient une expression taciturne accentuée par une épaisse moustache noire. Ses cheveux d'un noir tout aussi intense laissaient apparaître quelques fils d'argent.
« Priez vos gens de se retirer, nous souhaitons vous entretenir privément.
— Comme il vous plaira, sire roi. Me permettrez-vous cependant de garder mon intendant à mes côtés ? Ses conseils me sont précieux. »
Le roi hésita, puis acquiesça.
« Je ne trouve point de mots pour vous exprimer ma gratitude, commença Trencavel.
— Nous ne sommes point venus vous soutenir, mais vous aider à saisir l'étendue de vos erreurs de jugement. C'est vous et vous seul, qui vous êtes fourvoyé dans une telle situation en refusant de vous opposer à l'hérésie qui sévit dans
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