Labyrinthe
Pentecôte.
— Je sais tout cela, souffla-t-elle en posant son front contre le sien. Venez, laissez-moi vous aider, en suite de quoi je verrai ce que je puis faire pour Thierry. »
Elle entrevit les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux, aussi se hâta-t-elle, sachant qu'il ne souhaitait pas qu'elle le vît pleurer.
« Venez, Guilhem, souffla-t-elle. Conduisez-moi à lui. »
Thierry avait été transporté auprès des grands blessés alignés sur trois rangs dans le grand vestibule. Alaïs et les autres femmes firent du mieux qu'elles purent. Avec ses cheveux nattés, tombant sur les épaules, on aurait dit une enfant.
Au fil des heures, l'air devenait pestilent, et les mouches plus nombreuses dans la salle surpeuplée. La plupart du temps, Alaïs et les autres œuvraient sans mot dire, animées d'une constante détermination, sachant qu'elles ne disposeraient que d'un très bref répit avant le prochain assaut. Les prêtres enjambaient les rangées de soldats, blessés ou agonisants, écoutant des confessions, dispensant les derniers sacrements. Derrière le déguisement de leur robe sombre, deux parfaits administraient le consolament aux Cathares.
Les blessures de Thierry étaient gravissimes, les coups ayant atteint maints endroits de son corps. Il avait la cheville brisée, et le fémur éclaté par la lance qui avait pourfendu sa cuisse. Il avait perdu trop de sang pour être sauvé. Néanmoins, pour l'amour de Guilhem, Alaïs fit tout ce qui était en son pouvoir. Elle mit à chauffer dans de la cire une décoction de racines et de feuilles de consoude pour en faire une compresse qu'elle appliqua, refroidie, sur la plaie.
Le confiant aux attentions de Guilhem, Alaïs alla se consacrer à ceux dont la survie était moins compromise. Dans de l'eau de cardes, elle fit dissoudre de la poudre de racine d'angélique et, assistée des marmitons venus des cuisines, administra la potion à ceux qui pouvaient l'avaler. Si elle parvenait à écarter l'infection et à garder leur sang pur, peut-être alors leurs blessures auraient-elles une chance de guérir.
Elle retournait voir Thierry aussi souvent que possible pour rafraîchir sa compresse, même s'il apparaissait que ses efforts demeuraient vains. Le jeune homme avait perdu connaissance et son teint avait déjà emprunté la lividité du trépas. Elle posa une main sur l'épaule de son époux.
« Le cœur me douloit, murmura-t-elle. Il n'en a guère pour longtemps. »
Guilhem se borna à opiner tristement du chef.
Elle se dirigeait vers l'autre extrémité de la salle, quand un jeune chevalier, à peine plus âgé qu'elle, poussa un cri. S'immobilisant, elle s'agenouilla aussitôt près de lui. La douleur et le désarroi lui déformaient les traits du visage, ses lèvres étaient fendues et ses yeux, autrefois bruns, exorbités d'effroi.
« Chut, lui souffla-t-elle. N'avez-vous donc nulle famille ? »
Il tenta de secouer la tête. Alaïs posa un instant la main sur son front, puis souleva le linge qui recouvrait le bras portant l'écu, pour le laisser retomber incontinent. Le garçon avait l'épaule broyée. Des fragments d'os perçaient la peau, telle une barque naufragée à marée basse. Sur son flanc une blessure béait, d'où le sang s'écoulait sans discontinuer, étendant autour de lui une flaque toujours plus grande.
Sa main droite restait crispée sur le pommeau de son épée. Alaïs voulut l'en détacher mais ses doigts refusèrent de céder. Déchirant un carré d'étoffe de ses jupons, elle en fit un pansement qu'elle plongea dans la blessure. De sa bourse, elle tira une fiole de teinture de valériane dont elle versa deux mesures entre les lèvres du garçon aux fins d'apaiser sa douleur. C'était là l'unique remède qu'elle pouvait lui prodiguer.
La mort ne fut point compatissante, car elle vint lentement. Peu à peu, les râles d'agonie devinrent plus sonores et le souffle plus laborieux. Alors que la nuit descendait sur ses yeux, sa terreur atteignit son paroxysme et il poussa un hurlement. Alaïs l'accompagna en lui fredonnant une chanson, lui caressa le front jusqu'à ce que son âme eût quitté son corps meurtri.
« Que ton âme aille à Dieu », murmura-t-elle en lui fermant les yeux.
Elle recouvrit son visage et passa au suivant.
Alaïs œuvra sans répit, administrant potions, pansant les blessures au point que ses yeux devinrent douloureux et ses mains rouges de sang. En fin de journée, les lueurs du
Weitere Kostenlose Bücher