Labyrinthe
se représentât l'endroit.
Il était confiant, disait-il, qu'elle reconnaîtrait le lieu dès qu'elle le verrait.
Par mesure de précaution, et après avoir compris qu'elle aurait dû le faire plus tôt, Alice avait troqué, à l'aéroport de Toulouse, sa voiture de location contre une autre de marque et de couleurs différentes – juste au cas où on la rechercherait – puis avait continué sa route.
Suivant les instructions de Baillard, elle traversa Foix en direction d'Andorre, via Tarascon-sur-Ariège. À Luzenac, elle quitta la nationale et mit le cap sur Lordat et Bestiac. Le paysage n'était pas sans rappeler celui des pentes alpestres : petites fleurs de montagne, herbes hautes, maisons aux allures de chalet suisse.
Elle passa devant une carrière à ciel ouvert, semblable à une immense cicatrice blanche infligée à flanc de montagne. Pylônes électriques et câbles de téléphérique accédant aux stations de ski découpaient en lignes noires le ciel azuréen.
Alice franchit la Lauze. La pente de plus en plus abrupte et les virages de plus en plus serrés la contraignirent à rétrograder en seconde. Le tournis commençait à la gagner quand elle se retrouva, contre toute attente, dans un petit village.
Il y avait deux échoppes, ainsi qu'un café dont quelques tables se hasardaient sur la chaussée. Elle y entra, se disant qu'il valait mieux vérifier qu'elle prenait la bonne direction. L'atmosphère y était lourde de fumée et de la présence d'hommesen bleu de travail et au visage buriné, accoudés au comptoir.
Après avoir commandé un café, elle déplia ostensiblement sa carte. Si la xénophobie rurale, notamment envers les femmes, induisait qu'on ne lui adressât pas la parole, elle parvint toutefois à amorcer un semblant de conversation. Personne ne connaissait le hameau de Los Seres mais le coin de pays était connu et on l'aida du mieux possible.
Elle reprit sa montée, et repéra peu à peu les indications qu'on lui avait données. La route se mua en sentier avant de finir par se perdre dans la nature. Alice se gara et sortit de son véhicule. Ce fut seulement à ce moment-là, tandis qu'elle respirait immobile les senteurs de montagne, qu'elle comprit qu'elle n'avait fait qu'une sorte de boucle et se retrouvait sur le versant extrême du massif du pic de Soularac.
Alice grimpa sur un tertre et, la main en visière, reconnut l'Étang Tort et sa forme caractéristique que l'homme du café lui avait signalée. Non loin, il y avait une autre étendue d'eau que les gens du cru appelaient Étang du diable.
Finalement elle s'orienta vers le pic de Saint-Barthélemy, lequel se dressait entre Montségur et le pic de Soularac.
Droit devant, un sentier dessinait ses méandres sur la terre brune à travers broussailles et genêts. Les feuilles vert sombre du buis étaient dures et odorantes. Elle les effleura du bout des doigts pour en recueillir la rosée.
L'escalade se poursuivit encore dix minutes. Puis le sentier s'ouvrit sur une clairière, et elle comprit alors qu'elle était arrivée.
Une maison basse se dressait parmi des ruines, ses pierres se fondant dans le gris de la montagne. Sur le seuil se tenait un homme mince et très vieux, à la chevelure blanche, vêtu du même costume clair que celui dont elle se souvenait sur la photographie.
Ses jambes la portèrent jusqu'à lui comme mues par une volonté autonome. Alors qu'elle faisait les derniers pas dans sa direction, le sol s'aplanissait. Immobile, Baillard l'observait en silence. Même quand elle fut tout près, il ne prononça pas une parole ni ne bougea. En revanche, il ne la quitta pas des yeux une seconde. Des yeux d'une couleur pour le moins surprenante.
Ambrés avec les reflets mordorés des feuilles en automne.
Quand Alice arriva face à lui, il daigna enfin sourire. Transfigurant les creux et les sillons de son visage buriné, ce sourire lui fit l'effet du soleil perçant les nuages.
« Madomaisèla Tanner, dit-il d'une voix profonde et lointaine comme le vent du désert. Benvenguda. Je savais que vous viendriez. » Il s'effaça pour la laisser entrer : « Je vous en prie. »
Nerveuse, un peu gauche, Alice ploya l'échine et pénétra dans la maisonnette, sous le regard intense que le vieil homme faisait peser sur elle, un peu comme s'il avait voulu fixer chacun de ses traits dans sa mémoire.
« Monsieur Baillard… », bredouilla-t-elle avant de s'interrompre.
Elle ne savait que dire. Le
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