Labyrinthe
attendit, sans comprendre quelle mouche le piquait, jusqu'au moment où il lui refit face.
« Je vais vous raconter l'histoire d'Alaïs, déclara-t-il. Par son truchement, peut-être trouverons-nous le courage d'affronter ce qu'elle sous-tend. Mais sachez bien, madomaisèla Tanner, qu'après l'avoir entendue, il vous faudra aller jusqu'au bout de cette affaire.
— Cela ressemble à une mise en garde, se rembrunit Alice.
— Non, la détrompa-t-il, loin s'en faut. Néanmoins, nous ne devons pas perdre votre amie de vue. D'après ce que vous avez appris, l'on peut supposer qu'elle aura la vie sauve, du moins jusqu'à ce soir.
— J'ignore où doit se tenir la cérémonie en question, objecta-t-elle. François-Baptiste de l'Oradore n'a fait mention que d'une heure et d'une date.
— Je pense le savoir, la rassura Baillard. Nous y serons au crépuscule pour les attendre. » Il leva les yeux vers le soleil matinal. « Cela nous laisse du temps pour bavarder.
— Et si vous vous trompez ?
— Espérons que non. »
Alice observa quelques instants de silence.
« Je veux seulement savoir la vérité, dit-elle, étonnée par le calme de sa voix.
— Ieu tanben. Moi aussi », sourit-il.
65
Will eut conscience d'être traîné dans l'étroit escalier à travers les deux portes, puis de franchir le couloir de ciment. Sa tête ballottait sur sa poitrine. L'odeur d'encens était moins tenace, encore qu'elle subsistât comme un rappel dans la pénombre souterraine et silencieuse.
Au début, il songea qu'on l'emmenait dans la chambre sacrificielle pour y être proprement exécuté. La réminiscence d'un bloc de pierre au pied du sépulcre, du sang sur le sol fulgura dans son esprit. Mais on le hissa par-dessus une marche. L'air frais du matin sur son visage lui apprit qu'il se trouvait à l'extérieur, dans une sorte de venelle parallèle à la rue du Cheval-Blanc. Lui parvenaient les senteurs matinales de café torréfié et de poubelles, les bringuebalements de la benne à ordures, non loin. Il comprit que c'était la manière dont avait été transporté le corps de Tavernier avant d'être jeté dans l'Eure.
Un sursaut de frayeur le fit s'agiter un peu, ce qui lui apprit qu'il était pieds et poings liés. Il entendit s'ouvrir un coffre de voiture où il fut mi-hissé mi-poussé. Il eut l'impression que celui-ci était d'une taille inhabituelle et de se trouver dans une sorte de grande boîte à l'odeur de plastique.
Comme il roulait sur le côté, sa tête heurta le fond du conteneur, et il sentit aussitôt la plaie ouverte sur son crâne. Le sang se mit à couler sur sa tempe, irritant, picotant, sans qu'il pût se servir de ses mains pour l'essuyer.
Il se rappelait s'être tapi derrière la porte du bureau, puis la douleur aveuglante quand François Baptiste avait abattu le canon de son arme sur sa tête, ses jambes qui fléchissaient lentement, la voix impérieuse de Marie-Cécile demandant ce qui se passait.
Une main calleuse lui empoigna le bras et tira sa manche vers le haut pour lui planter une aiguille dans la peau. Tout comme la première fois. Ensuite, un bruit de loquet tiré et celui d'une espèce de couverture – une bâche peut-être, qu'on étalait sur sa prison.
La drogue s'insinuait dans ses veines, froide, agréable, annihilant la douleur. Le brouillard. Will glissa dans une demi-inconscience. La voiture prit de la vitesse. L'envie de vomir le saisit, alors que sa tête ballottait de droite à gauche au gré des virages. Il songea à Alice. Il eût aimé par-dessus tout la revoir. Lui dire qu'il avait fait de son mieux. Qu'il ne l'avait pas laissée tomber.
À présent, il avait des hallucinations. Les eaux tourbillonnantes et bourbeuses de l'Eure affluaient dans ses poumons par la bouche et le nez. Il s'efforça de garder en mémoire le visage d'Alice, sa prunelle brune et grave, son sourire. S'il pouvait s'accrocher à cette image, peut-être que tout irait bien pour lui.
Mais la crainte de se noyer, de mourir sur cette terre étrangère qui ne signifiait rien pour lui l'emporta. Et Will s'abîma dans les ténèbres.
À Carcassonne, Paul Authié contemplait l'Aude de son balcon, une tasse de café à la main. Il s'était servi d'O'Donnell comme appât pour atteindre François-Baptiste de l'Oradore, même s'il rejetait instinctivement l'idée d'un livre factice qu'elle lui remettrait. Le jeune homme aurait vite compris qu'il s'agissait d'un faux. En outre, il ne tenait pas à
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