Labyrinthe
Les parfaits et quelques parfaites s'étaient hâtés. Malgré la promesse de rémission qui lui avait été faite, la moitié de la population de la citadelle, parmi laquelle Rixende, avait choisi de recevoir le consolament . Ceux-là préféraient mourir en Bons Chrétiens que de vivre, vaincus, sous la férule du roi de France. Ceux qui s'étaient résignés à mourir pour leur foi avaient légué leurs biens à ceux condamnés à vivre séparés des personnes qui leur étaient chères. Bertrande avait contribué à la distribution d'objets comme des figurines de cire, du sel, du poivre, des vêtements, une escarcelle, des broches et même un chapeau de feutre.
À Pierre-Roger de Mirepoix, l'on avait présenté une courtepointe remplie de piécettes. D'autres lui avaient remis du maïs et des justaucorps pour être distribués à ses hommes. La marquise de Lanatar, qui avait décidé que sa foi valait plus que sa vie, avait transmis l'ensemble de ses biens à sa petite-fille Philippa, épouse de Pierre-Roger.
Tout en scrutant les visages silencieux qui l'entouraient, Bertrande eut pour sa mère une prière muette. Alaïs avait choisi le vêtement de Rixende avec soin : une robe vert foncé, ainsi qu'une cape écarlate dont les bords s'ornaient de losanges et de carrés bleus et verts, avec au centre de petites fleurs jaunes. Sa mère lui avait expliqué que c'était le même que celui qu'elle portait lors de ses épousailles, dans la capèla Sant-Maria du Château comtal. Alaïs était convaincue qu'Oriane la reconnaîtrait malgré le passage du temps.
Par mesure de précaution, elle avait également confectionné un petit sac de peau qu'elle tiendrait contre la cape, fac-similé de la chemise censée receler un des livres de la trilogie. Bertrande l'avait aidée à le garnir d'étoffes et de feuilles de parchemin, en sorte qu'il fît illusion, tout du moins de loin. Elle ne comprenait pas entièrement l'objet de ces préparatifs, sinon qu'ils étaient de grande conséquence. D'avoir été autorisée à y participer lui avait procuré une joie intense.
Bertrande mit sa main dans celle de Sajhë.
Les dignitaires de l'Église cathare, les évêques Bertrand Marty et Raymond Aiguilher, à présent très âgés, affichaient un visage serein dans leur robe bleu foncé. Cela faisait des années qu'ils exerçaient leur ministère et partaient de Montségur pour prêcher la bonne parole et réconforter les credentes des villages isolés des plaines et des montagnes. Aujourd'hui, ils s'apprêtaient à conduire leurs ouailles jusqu'au bûcher.
« Mamà sera sauve », murmura Bertrande, essayant de rassurer Sajhë autant qu'elle-même. Elle sentit la main de Rixende sur son épaule : « J'eusse aimé que…
— Ma décision est prise, l'interrompit la servante. J'ai choisi de périr pour ma foi.
— Et si mamà était capturée ? insista l'enfant.
— Nous ne pouvons rien faire d'autre que prier », dit Rixende en lui caressant les cheveux.
Quand les soldats parvinrent jusqu'à eux, des larmes montèrent aux yeux de Bertrande. Rixende tendait les poignets. Le Français lui adressa un signe de dénégation. Loin d'avoir imaginé que tant choisiraient la mort, les soldats n'avaient pas apporté suffisamment de chaînes pour les entraver tous.
Bertrande et Sajhë regardèrent en silence Rixende et les autres franchir la grande porte et entamer leur ultime descente du sentier abrupt et sinueux. Sous le ciel gris, le manteau écarlate dont était revêtue la servante contrastait vivement avec les bruns et les verts éteints des autres prisonniers.
Sous la houlette de l'évêque Marty, la funèbre procession entonna un chant. Montségur était vaincu, mais ces gens ne l'étaient pas. Bertrande avait promis à Alaïs de se montrer forte : elle ferait de son mieux pour respecter sa parole.
Dans les hourds qui avaient été dressés à l'intention des spectateurs dans la plus basse prairie, il ne restait plus une place libre. La nouvelle aristocratie du Midi, barons français, légats catholiques et inquisiteurs avaient été priés par Hugues des Arcis, sénéchal de Carcassonne, à voir justice rendue après plus de trente ans de guerres intestines.
Soucieux de n'être pas reconnu, Guilhem du Mas s'enveloppa dans sa cape. Après une vie passée à combattre le Français, son visage était connu. Il ne pouvait se permettre d'être pris. Il balaya les lieux du regard.
Si ses sources étaient fiables,
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