Labyrinthe
allante et qu'après tierce, elle irait au solar 1 rejoindre les dames de la maison. Si surprenante que fût la nouvelle, la servante n'émit aucun commentaire, car, en bonne vérité, Alaïs détestait se retrouver encagée parmi les dames du château pour pérorer à l'infini à propos de couture et de tapisserie. Cela faisait partie des tâches qui lui répugnaient et elle n'avait de cesse de trouver un bon prétexte pour s'y dérober. Mais aujourd'hui, sa décision servirait de preuve à ce qu'elle entendait revenir dans l'enceinte du château.
Elle espérait que son absence serait éventée le plus tard possible. Si la chance était de son côté, l'on s'apercevrait de sa disparition seulement quand les cloches sonneraient vêpres et l'alarme serait donnée.
À ce moment-là, je serai loin, se dit-elle.
« Ne rendez visite à dame Agnès qu'après la déjeunée, ajouta-t-elle à l'intention de Rixende. Attendez que les premiers rayons aient frappé le mur ouest de la cour, m'entendez-vous ? Avant cela, si quelqu'un me fait mander, fût-ce le serviteur de mon père, vous répondrez que je suis allée chevaucher dans les prés, du côté de Sant-Miquel. »
Les écuries se trouvaient dans un coin de la cour, entre la Tour des Casernes et la Tour du Major. À l'approche d'Alaïs, les bêtes dressèrent les oreilles et frappèrent le sol du sabot en faisant entendre un faible hennissement. S'arrêtant à la première stalle, elle caressa le chanfrein de sa jument à la crinière presque blanche en raison de son grand âge.
« Pas aujourd'hui, vieille compagne, lui murmura-t-elle, ce serait trop te demander. »
Sa seconde monture se trouvait dans la stalle attenante : une jument arabe de six ans que l'intendant lui avait offerte, à sa grande surprise, comme cadeau de mariage. Tatou avait une robe brun clair, le crin couleur de lin et des boulets blancs aux quatre extrémités. D'une hauteur de garrot identique à celle des épaules de sa cavalière, la bête arborait les signes distinctifs de sa race : une tête rectiligne et concave, des articulations basses et puissantes, un dos tendu, ainsi qu'une docilité à toute épreuve. Mais plus remarquables encore étaient son endurance et sa vélocité.
Au grand soulagement d'Alaïs, Amiel, fils aîné du maréchalferrant, était l'unique personne présente aux écuries. Gêné d'être surpris endormi dans la paille, il se redressa vivement et se confondit en excuses.
La jeune femme eut tôt fait d'y mettre un terme, lui enjoignant plutôt de préparer sa monture.
Amiel s'empressa d'en vérifier les fers puis, une fois le tapis de selle posé sur le dos de la bête, il lui mit son harnais et, à la demande d'Alaïs, une selle de voyage et non de chasse. Tout le temps que durèrent ces préparatifs, elle se sentait oppressée, sursautant au plus petit bruit, se retournant au moindre éclat de voix émanant de la cour.
Elle ne tira son épée de sous sa cape que lorsque la jument fut prête.
« La lame est émoussée », déclara-t-elle.
Leurs regards se croisèrent. Sans un mot, Amiel s'en saisit et l'emporta à la forge. Le feu brûlait, entretenu par des enfants se relayant nuit et jour, à peine plus grands que les bûches qu'ils transportaient d'un coin à l'autre de l'atelier.
Alaïs observait les gerbes d'étincelles jaillir de l'enclume, le dos musculeux du jeune homme alors qu'il abattait sa masse sur la lame de l'épée afin de l'affiner, la redresser et la rééquilibrer.
« C'est une bonne épée, dame Alaïs, dit-il en levant le ton pour être entendu. Elle vous fera bon usage cependant… je prie Dieu que vous n'ayez point à la tirer.
— Ieu tanben , moi tout autant », sourit-elle.
Il l'aida finalement à se mettre en selle et lui tint la bride jusqu'à la grande cour. Alaïs avait le cœur qui battait la chamade, craignant à tout moment d'être aperçue et de voir son projet anéanti.
Ils ne croisèrent personne et ne tardèrent pas à atteindre la porte orientale.
« Dieu vous garde, dame Alaïs », murmura le jeune homme, alors qu'elle lui glissait un sol dans la main.
Après que les gardes lui eurent ouvert la porte, Alaïs poussa sa jument sur le pont puis, le cœur toujours battant, à travers les rues de Carcassonne. La première étape s'était déroulée sans encombre.
Passé la Porte Narbonnaise, Alaïs lâcha la bride à Tatou.
Libertat. Liberté.
Comme elle chevauchait en direction du Levant, Alaïs se
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