Lacrimae
notaire.
— Ce notaire… commença le bailli pour être à nouveau interrompu par l’impatience manifeste de l’abbé.
— Un certain Évrard… Charon… Ah ça ! s’étonna l’abbé. Je n’avais pas établi le rapprochement. S’agirait-il d’un parent de votre défunt secrétaire ?
— Je l’ignore, mais vais m’en assurer au plus preste, répondit Louis d’Avre dont Druon perçut le regain d’intérêt.
Le jeune mire reprit la parole :
— À quand remontent les achats des reliques, seigneur abbé ?
— Ma foi, de mémoire, le tibia nous arriva il y a environ trois ans et la Sainte Larme, la dernière acquisition, il y a une dizaine de mois.
— Seigneur mon père, auriez-vous l’infinie bonté de m’autoriser à retracer les pas de frère Étienne ? Peut-être à interroger certains moines ?
— Mes fils sont soumis au silence. Ils ne le rompent qu’à bon escient. Rarement. Ainsi le veut notre règle et ainsi y veillè-je. Quant à retracer ses pas… pourquoi m’y opposerais-je ? Hors l’abbaye, toutefois. Au demeurant, il fut occis dans la forêt, ou ailleurs selon votre supposition. En tout cas, pas entre nos murs.
L’ordre était clair et ferme. À l’évidence, contrer Constant de Vermalais eût été une mauvaise stratégie, et Druon se contenta de hocher la tête en remerciement. Cet homme le déroutait. Il avait d’abord pensé que l’abbé dissimulait une trouble connaissance des mobiles ayant mené au meurtre de son fils. Il l’avait soupçonné de s’abriter derrière son pouvoir et les privilèges de son rang afin de décourager le légitime intérêt du bailli. Tel n’était plus le cas. Pourtant, le mire ne parvenait pas à se défaire d’un étrange sentiment. Il aurait juré que de lourds secrets se cachaient derrière la façade péremptoire et peu cordiale de l’abbé.
Bah ! Il avait obtenu l’autorisation qui lui importait : celle de fouiner un peu.
1 - Du latin discretus : capable de discerner. L’abbé était assisté d’un grand prieur lui-même secondé par six frères discrets : le cellérier, le boursier, le dépositaire, le portier et deux autres de fonction variable.
2 - Qui secondaient les discrets.
3 - On était alors à l’apogée de la vénération des Saintes Reliques et du trafic de faux. Il circulait à cette époque un nombre considérable de fausses reliques, vendues à prix d’or aux naïfs ou à des gens qui souhaitaient faire un prestigieux cadeau aux puissants ou à une abbaye. Ainsi, on dénombrait quatorze Saints Prépuces, des morceaux de bois de la Croix en tel volume qu’Érasme en disait qu’il faudrait une forêt entière pour l’atteindre, une dizaine de têtes et une soixantaine de doigts de saint Jean, un nombre considérable de Saintes Lances, etc. Le manque de moyens de communication, donc de vérification, a bien sûr profité à ce juteux trafic.
4 - Il en existait une bonne cinquantaine en circulation à l’époque.
5 - Les clous utilisés pour crucifier le Christ. Là encore, il en circulait en abondance à l’époque.
6 - La plus célèbre est, sans doute, celle conservée en l’abbaye de la Trinité à Vendôme, dont la construction décidée par Geoffroy Martel, comte de Vendôme, et son épouse Agnès de Bourgogne débuta en 1035. Versée par le Christ lors de la mort de Lazare, elle aurait été incluse dans un éclat de cristal et offerte à Marie-Madeleine par un ange.
XXXIII
Abbaye royale de la Sainte-Trinité de Tiron,
novembre 1306
F rère Sabin les raccompagna à la porterie principale. Druon s’étonna un peu du mutisme et de l’absence de curiosité du gros moine, qui ne chercha pas à s’enquérir de leur discussion avec son père.
À leur surprise, le jeune Robert se précipita vers eux dès que le portier entrouvrit le lourd panneau. Il jeta un regard à frère Sabin et retint ce qu’il voulait dire, tirant Druon par un pan de son mantel. Lorsque la haute porte se referma et qu’ils se furent écartés de quelques pas, Robert débita d’une voix urgente et hachée de chagrin :
— J’as couru afin d’vous prévenir. Ah, quelle épouvante !!! L’pauv’gars ! Maîtresse Borgne a les sangs r’tournés. L’a failli tomber en pâmoison… Elle pleure tel un enfançon et rugit comme une furie. Oh, ça, l’est capable d’un vilain coup dans son état. Si l’maudit qu’a fait ça lui tombe sous la patte, elle l’étripe…
Et Druon comprit que
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