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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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manger.
    — Ils ne t’ont pas porté de panier de souper ?
    — Si fait. Je ne voulais pas y toucher tant que vous ne seriez pas rentré. Mangeons, voulez-vous ?

    Druon entrevit l’étrange superstition qui s’était tissée dans la tête du garçonnet. Huguelin avait la terreur du ventre vide, comme tous ceux qui avaient dû cohabiter avec. Faire le sacrifice de la faim, alors qu’il pouvait se restaurer, se résumait à une sorte d’offrande, une offrande destinée à « monnayer » en quelque sorte le retour de son maître. Une infime pénitence qui, pour lui, représentait l’essentiel. Une bourrasque de tendresse et de tristesse suffoqua Druon, qui n’en laissa rien paraître. Le véritable amour se trouvait là, en ce petit garçon, capable de s’affamer quand c’était, selon lui, la pire chose qui puisse lui advenir. Et Druon songea qu’il était bien fortuné. Il avait eu le père le plus admirable qui fût, et il avait trouvé une sorte de fils parfait, que la nature ne lui aurait peut-être pas concédé s’il l’avait porté. Une infinie gratitude lui fit fermer les yeux.
    Il déclara d’une voix faussement légère :
    — Tu as raison, restaurons-nous. Je meurs de faim. Ensuite, reposons-nous et nous aviserons au jour levé. Les pensées de nuit sont rarement bonnes conseillères.
    1 - Assommer, tabasser.
    2 - Rappelons que la vie était dure pour tout le monde et que les enfants n’incitaient pas à une pitié particulière.
    3 - Réprimander, gronder quelqu’un.
    4 - À l’origine, le terme signifiait « frire des friandises ». Au figuré : être attiré par des gourmandises, quelle que soit leur nature.

XLVI
    Château de Saint-Denis-d’Authou, novembre 1306
    D e fait, leur nuit fut courte quoique revigorante. Comme chaque fois qu’il s’éveillait depuis leur installation, Druon se demanda où il se trouvait lorsque son regard se posa sur les murs rébarbatifs de leur chambre sans ornement. Il avait grande hâte de quitter cet endroit, sa pesanteur et même son odeur d’abandon.

    À quel sombre office Aude réservait-elle cette digitale ? Le devoir de Druon consistait à l’apprendre avant qu’un acte irréparable ne soit commis. Cependant, par quel biais aborder une accusation aussi grave que celle de tentative d’enherbement ?
    Soucieux, il procéda à ses ablutions, se vêtit pendant qu’Huguelin fonçait récupérer le panier de vivres déposé devant leur porte au petit matin.
    L’esprit ailleurs, Druon grignota. Au contraire, Huguelin avait retrouvé son allant et engouffrait avec appétit morceaux de poulet, grattons, tranches de pain et pipefarces 1 , les accompagnant d’une généreuse rasade de cidre doux. Ayant appris ses leçons de tenue à table, il attendit d’avoir ingurgité pour demander, inquiet :
    — Il faut vous sustenter, mon maître. Vous picorez à peine. Il règne grand froid dehors et qui sait de quoi s’ra… euh, sera faite la journée ! En vérité, me croyez : toujours se remplir la panse lorsqu’on en a opportunité.
    En dépit de son humeur incertaine, la réflexion, mille fois répétée depuis qu’il cheminait en compagnie du garçon, fit sourire Druon.

    Le silence s’installa. Huguelin jetait de fréquents regards au jeune mire. Enfin, n’y tenant plus, il s’enquit :
    — Je vous sens bien morose, lointain. Attristé, même. Maître… je vous l’ai dit, je suis encore petit pour vous être d’aide précieuse mais… je suis prêt à tous les efforts pour vous bien servir.
    Druon caressa les cheveux fins du garçonnet et déclara avec lenteur :
    — C’est que, mon bon Huguelin, je ne parviens à me décider. Comment prévenir ce qui, à n’en point douter, est un enherbement ?
    Les yeux du garçonnet s’agrandirent d’effroi. Une pipefarce à moitié dévorée entre les doigts, il murmura :
    — Divin Agneau ! Le poison ! Ah ça… Céans ? Qui, mais qui ?
    — J’ignore qui en sera la victime. En revanche, je soupçonne l’identité de l’enherbeur.
    — Mon maître, mon maître… il faut empêcher ce crime ignoble !
    — Grand merci pour ton renfort, ironisa Druon. Toutefois, il ne m’aide guère à progresser.
    Le visage enfantin se ferma et le mire s’en voulut de sa sotte pesterie.
    — Le pardon, Huguelin. L’aigreur de mon humeur est à blâmer. Comprends : je ne puis acculer cette personne sans preuves irréfutables. Outre qu’il s’agirait d’une odieuse calomnie,

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