Lacrimae
seigneur Philippe d’Authou, et surtout son passé de gredin sans foi ni loi. (Il passa la main sur son front ridé de lassitude :) Il me faut dormir quelques heures avant de vous relater mes trouvailles de Nogent-le-Rotrou. Pourtant, je dois d’abord interroger le cadet Barbette, Cyr. Il ne s’agit, pour l’instant, que d’une audition, dans son cas. La tête me tourne de fatigue. Je n’ai presque pas fermé l’œil de deux jours. À vous revoir bien vite.
Après un salut pour les femmes qui n’avaient pas bougé, comme engluées dans un méchant sortilège, il disparut à la suite de ses hommes.
Druon remonta vers sa chambre. Il détestait cet endroit. La geôle confortable que lui avait imposée la baronne Béatrice d’Antigny prenait des allures de plaisant refuge comparée à ce lieu. Chaque recoin semblait secréter un pesant malaise. L’air même y devenait étouffant, en dépit du froid glacial qui s’infiltrait partout. Si lui, l’homme de sciences, féru de réalité, de preuves, se laissait aller à une sorte d’emballement superstitieux, alors qu’il les réprouvait, que devait ressentir le pauvre Huguelin !
Pénétrant dans leur appartement, il cria :
— Huguelin, vêts-toi chaudement. Nous partons pour Tiron boire une bonne infusion et réconforter maîtresse Borgne du mieux que nous le pourrons. L’atmosphère viciée de ce lieu prend à la gorge. Faisons fi de la dépense. Réservons une chambre en l’auberge. Je ne sais de quoi demain sera tissé. En revanche, passer une autre nuit céans me semble hors de ma tolérance. Sortons !
Huguelin trépigna de joie.
— Enfin, mon maître, enfin ! Tout est prêt, notre frusquin, comme chaque matin où j’espère que vous en viendrez à cette sage décision. Cet endroit est malsain. Vous m’avez maintes fois répété que les fantômes 1 étaient fruits d’imaginations crédules… je vous crois, mais ailleurs, car ici ils pullulent ! Et ils sont fort malheureux.
1 - Les fantômes « existent » depuis la plus lointaine Antiquité.
XLVIII
Tiron, novembre 1306
M aîtresse Borgne avait été soulagée de les voir. Surtout, elle leur avait été reconnaissante d’évoquer la mémoire du simple alors que tous feignaient l’avoir oublié. Druon l’avait trouvée bien changée. Désignant la salle déserte, elle avait déclaré d’un ton de plate tristesse :
— Plus personne. C’est pas bon pour l’commerce, un décès. Les crétins ! Non que j’m’attendais à mieux d’leur part.
Une sorte de mélancolie s’était abattue sur la femme jadis si énergique. L’ombre de la mort semblait l’avoir frôlée en emportant Nicol. Étrangement, cette sinistre mitoyenneté s’était soldée par un joli renversement de personnalité et Cécile, si âpre au gain, si frileuse de ses deniers, leur avait offert le manger, insistant pour qu’ils l’acceptent et lui permettent de le partager en leur compagnie.
À un pâté de veau à la cannelle et au gingembre avaient fait suite des oysaulx 1 rôtis, accompagnés d’une jensse 2 . Un taillis 3 aux fruits secs et au miel avait fait office d’issue 4 . Un festin de belle table. Elle n’avait parlé que de Nicol, des souvenirs qu’elle conservait de sa petite enfance, riant parfois, essuyant par instants les larmes qui coulaient de ses paupières sans qu’elle s’en aperçoive. Ils l’avaient écoutée avec attention, lui posant des questions. Seuls les mots de son passé avec le simple la soulageaient et elle méritait amplement l’occasion de les dire.
Elle semblait rassérénée, un peu apaisée par ce flot de menus souvenirs heureux lorsque Louis d’Avre pénétra. Huguelin se leva afin de l’aider à débarrasser leur table.
Le bailli, un peu reposé, resté seul avec Druon, lui relata sa rencontre avec le notaire, Évrard Charon. Druon songea pour la centième fois qu’il se sentait bien en présence de cet homme austère et mesuré qui lui rappelait tant son père. À son tour, il évoqua cette mystérieuse ampoule de deux deniers, et la perception d’une somme très importante par le mercier en échange de « fournitures pour l’abbaye ».
— Qu’en faites-vous, messire mire ? demanda le bailli en terminant un quignon de pain oublié sur la table.
— Je ne me risquerai pas à tirer de hâtives conclusions… cela étant…
— Cela étant, Martin Borée en faussaire de reliques vous siérait bien ?
— Ma foi… c’est une
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