Lacrimae
la vérité tant sur lui-même que sur les autres . La phrase qu’avaient entendue le mercier et Leonnet Charon. Et son père avant eux. Martin Borée s’était parjuré tel un déhonté afin de se débarrasser d’une maîtresse trop insolite qui lui pouvait porter grand tort, mais dont il redoutait les pouvoirs. Charon, trompé par le mercier scélérat, avait involontairement menti en relayant ses dires.
Igraine avait-elle pu tuer les deux hommes, l’identité du troisième témoin étant tenue secrète ? Druon l’en savait capable. Toutefois, sans certitude, il ne pouvait l’évoquer devant le bailli. Les chiens seraient lâchés. Louis d’Avre était homme d’honneur. Justement. Il s’acquitterait de sa charge sans faillir : livrer à l’Inquisition des païens soupçonnés de meurtres de bons chrétiens. Si Igraine était proche, elle se terrait dans la forêt, son amie de toujours, sa protectrice. Des battues seraient organisées. La superstition, la haine pour ceux qui persistaient dans une foi différente, sans omettre la peur, feraient le reste. La mage serait mise en pièces d’horrible façon avant même de parvenir devant le tribunal. Une effroyable cuirée 10 .
— Décidément, j’ai le désagréable sentiment de vous lasser, messire mire, commenta le bailli que les silences de Druon étonnaient.
— De grâce, votre pardon. Ma discourtoisie doit être mise au compte de la fatigue.
Cependant, le bailli ne fut pas dupe.
— Me tairiez-vous quelque chose ?
— Oh, certes pas, mentit Druon avec un aplomb qu’il était loin de ressentir.
— C’est, pourtant, la déplaisante intuition qui me vient soudain, insista Louis d’Avre d’un ton beaucoup plus sec, en le scrutant de son regard d’un bleu dérangeant.
Le jeune mire perçut la menace à peine voilée. S’il dissimulait des informations, protégeant du même coup un vil meurtrier, surtout celui du secrétaire du bailli, il serait reconnu complice. Il préféra ne pas imaginer les funestes conséquences qui en découleraient pour lui si, de plus, l’assassine en question était païenne, donc hérétique, et si un tribunal découvrait que l’ aesculapius Druon de Brévaux n’était autre que la fille en travestissement de Jehan Fauvel, condamné par l’Inquisition. Il tenta de juguler la vague de panique qui le prenait d’assaut, certain qu’Avre la percevrait.
— Avec votre permission et si nous en avons terminé, je souhaiterais me retirer.
Louis d’Avre le considéra encore quelques instants puis se leva avec lenteur. D’une voix plus lasse que menaçante, il déclara :
— Mire, je vous en conjure, ne devenez jamais mon ennemi. Je vous tiens en belle estime, peut-être même en affection puisque vous pourriez être ma fille. Toutefois, qui s’oppose à l’arrestation du monstre qui a occis Leonnet s’oppose à moi. Je ne suis pas connu pour faire de quartier. À vous revoir sous peu. Une belle nuit.
Le grand homme maigre disparut sur ces mots, laissant Druon bouleversé d’inquiétude.
1 - Potage au cresson et aux feuilles de blettes, lié avec un peu de fromage frais, auquel on pouvait ajouter du lard les jours gras.
2 - La recette accommodait de nombreux poissons que l’on faisait d’abord un peu rôtir. La sauce était composée de pain détrempé dans du vin blanc, avec un peu de vinaigre ou de verjus (jus de raisins verts), du bouillon de légumes, le tout aromatisé avec un peu de safran. On terminait la cuisson du poisson dans la sauce.
3 - Épinards. Elle était faite avec des œufs et on l’agrémentait avec de fines tranches de lard les jours gras.
4 - Repas où l’on mangeait en abondance.
5 - Les abréviations étaient très fréquentes à cette époque, pour économiser le papier. Cependant, chacun avait son système, qu’il indiquait en général en fin d’ouvrage. Beaucoup de lettres étaient remplacées par des points. Lorsque ce « décodage » était absent, la lecture du texte pouvait se révéler difficile.
6 - La mode de l’époque avait inventé ces manches amovibles, que l’on retenait à l’épaule par des agrafes, en général précieuses, ou que l’on nouait. Elles permettaient de changer l’allure du vêtement, sans toutefois changer de robe.
7 - Magie noire.
8 - Voir Les Mystères de Druon de Brévaux , tome I, Aesculapius , du même auteur.
9 - Ainsi, parmi nombre d’autres choses, l’utilisation du gui comme principe thérapeutique et
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