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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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Délon, au coin rues du
Conseil et de l’Embarcadère : chaux éteinte
à sept livres de cent au comptant.
    Petite annonce parue dans la Gazette de l’île
Bourbon , le samedi 19 mars 1831. Cité
dans De la servitude à la liberté, Bourbon
des origines à 1848 , Océan éditions.

15
    C’est mystérieux, un bruit qui court. Où prend-il sa source ?
D’où vient sa force, et comment se propage-t-il ? Toujours est-il
que sans aucune information officielle, et à peine deux jours
après que la décision fut prise dans le secret d’un bureau, une
foule de noirs s’était rassemblée autour du tribunal de première
instance de Saint-Denis où le procès de l’esclave Furcy allait se
dérouler. Tout Bourbon, ou presque, ne parlait que de l’affaire. Le tribunal se trouvait au sein même de la prison, à l’angle
de la rue La Bourdonnais et de la rue du Conseil. Le bâtiment
était haut, sobre, jauni ; de l’extérieur, il avait tout d’une prison,
avec des barbelés de la hauteur des murs. Régulièrement, on
voyait les prisonniers à leur fenêtre ; de leur côté ils regardaient
les gens passer. La cour servait aussi de lieu d’exécution quand
la peine de mort avait été prononcée. Pour entrer au tribunal,
on passait par la porte de la prison. Cette prison vient tout juste d’être fermée. Je suis passé à
plusieurs reprises à côté en éprouvant un sentiment étrange à
penser que Furcy y avait séjourné. Sentiment étrange, parce
que j’étais heureux de retrouver sa trace mais bouleversé aussi
par la certitude qu’il avait vécu là un enfer. Il était midi en cette fraîche journée de novembre 1817. Le
président ne pouvait ignorer tout ce bruit autour de son
enceinte. Sans aucune gêne, il alla demander conseil à Desbassayns : fallait-il maintenir la séance, ou la suspendre ? L’orgueil n’est pas toujours un bon guide, aussi le puissant colon
n’étant pas du genre à se laisser faire et à abdiquer face à
une foule, si nombreuse fût-elle, il décida de ne pas suspendre
la séance. Il y avait un risque, et Desbassayns choisit de le
prendre. De toute façon, il fallait que le tribunal statue sur
le sort de Furcy, mais aussi sur celui de Sully-Brunet car Desbassayns souhaitait le voir quitter Saint-Denis, au plus vite —
une manière d’affaiblir Boucher. La règle voulait que, durant cette séance où se trouvaient
réunis onze hommes de loi (dont le colon, le gouverneur, le
président, le vice-président, le procureur général, deux chefs
de justice...), chacun puisse prendre la parole et voter. L’assemblée restait silencieuse, on ressentait bien la tension,
et le duel qui se jouait entre Desbassayns et Boucher. Il y avait
quelques noirs — des noirs libres. On remarquait aussi, à leur
habit, un petit groupe de six ou sept esclaves — comment
avaient-ils pu entrer ? On précéda aux résolutions, puis à leur vote. La première
question était simple : Furcy devait-il retourner en prison
pour acte de rébellion et fait de marronnage ? Neuf mains se
levèrent, sauf celle de Gilbert Boucher et de Sully-Brunet.
Furcy ne montra aucune émotion, comme s’il ne s’attendait
pas à autre chose. Le président du tribunal passa rapidement à la question suivante : Jacques Sully-Brunet devait-il être suspendu de ses
fonctions pour avoir conseillé Furcy, et, si oui, devait-il être
déporté à la Rivière-des-Roches, à Saint-Benoît ? Le résultatfut exactement le même. Tandis que Desbassayns essayait de
réprimer un sourire de satisfaction, Gilbert Boucher bouillait
intérieurement ; seules ses mains qu’il tapotait contre ses
cuisses trahissaient sa nervosité. On posa les autres questions,
et les réponses furent invariablement les mêmes. « Tous les noirs qui ont touché le sol de la France bénéficient-ils du principe que “nul n’est esclave en France” et doivent-ils être affranchis ? » Non : neuf voix. Oui : deux voix. « Les enfants ayant moins de sept ans au moment de l’affranchissement de leur mère bénéficient-ils du même sort ? »
Non : neuf voix. Oui : deux voix. « Le commissaire général ordonnateur a-t-il le droit de faire
arrêter et incarcérer un individu par mesure de haute police ? »
Oui : neuf voix. Non : deux voix. L’audience ne dura même pas une heure, alors que d’habitude elle prenait toute la demi-journée et qu’on était obligé
d’abréger les débats à la tombée de la nuit. La séance allait se

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