L'affaire de l'esclave Furcy
noces l’animait. L’établissement
a été brûlé et remplacé par le théâtre de la Renaissance.
Aujourd’hui, la rue de Bondy n’existe plus, elle a été élargie et
rebaptisée René-Boulanger, elle se trouve dans le X e arrondissement. Avec tous ces changements, je me suis demandé comment Boucher pouvait s’attacher à des gens, à un lieu, à une
maison, tout ce qui peut apaiser un peu l’âme ? C’est insupportable de vivre avec l’idée qu’il faut toujours quitter
quelqu’un ou quelque chose, l’esprit est constamment en effervescence. Dans cette correspondance de Furcy, j’ai souvent croisé le
nom d’Aimé Bougevin, négociant à Port-Louis, qui semblel’avoir beaucoup soutenu en lui servant d’intermédiaire ou de
boîte postale. Les lettres disent toutes la même chose, ou à peu près. C’est
un appel à l’aide, une demande de service pour retrouver des
papiers qui pourraient servir sa cause. Deux missives sont quasiment identiques, Furcy écrit qu’il a expédié une lettre un an
plus tôt et, n’ayant pas reçu de réponse, il récidive. Oui, il fallait avoir beaucoup de patience. Et je suis sûr qu’il existe
d’autres lettres encore, combien se sont égarées ? Il signe le plus souvent « Furcy », sauf à deux reprises. Une
fois, il conclut par un rageur « Furcy, né libre, esclave maintenu par la cupidité d’un homme ». Une autre : « Furcy Lory ».
Je savais que lors d’un affranchissement, les esclaves prenaient
le nom de leur exploitant, comme s’ils étaient de la même
famille, mais Furcy n’avait pas été affranchi... La correspondance s’écoule de 1817 à 1836, et je résume
cette longue période en quelques lignes. Furcy, lui, a tant
patienté et tant espéré. Comment faire ressentir près de vingt
années de malheur ? Comment résumer la souffrance ? Chaque
jour, il devait s’attendre à des nouvelles et, chaque jour, il
reprenait espoir pour le lendemain. Qu’est-ce qui l’a aidé à ne
jamais abdiquer ? Son entêtement est hors normes. En 1822, il
écrit à Boucher en Corse. J’ai eu l’honneur de vous écrire l’année dernière, mais l’incertitude dans laquelle je suis de savoir si ma lettre vous est
parvenue, me fait prendre la liberté de vous adresser celle-ci
par triplicata, pour vous supplier très respectueusement de
daigner rappeler à votre mémoire le triste souvenir de ma malheureuse affaire de Bourbon. En 1826, il effectue la même démarche : Port-Louis, île Maurice, 15 mai 1826 à Monsieur Boucher,
ancien procureur général
à l’Ile Bourbon Monsieur, J’eus l’honneur de vous adresser, vers la fin de 1824, une
lettre qui vous a été remise, ou à votre beau-père, Mr. Legonidec, par une dame qui demeure à Paris. Je n’ai point reçu de
réponse et je crois que ma lettre ne vous est point parvenue. Je
le crois parce que je suis sûr que l’infortuné à qui vous vous
intéressâtes à Bourbon ne peut être entièrement effacé de votre
mémoire. Je prends donc encore la liberté de vous écrire pour
vous supplier de penser à moi, de me faire savoir si je ne dois
plus espérer et si, né libre, il m’est défendu de jouir des droits
que ma naissance m’accordait. J’ai été vendu à la sœur de
l’homme qui se disait mon maître et depuis sept ans je suis à
Maurice, éloigné de mes enfants et même privé de l’avantage
dont jouissent tant d’autres esclaves, celui d’être maître de
mon temps et de mes actions quoique j’aie offert à mes maîtres
prétendus jusqu’à dix piastres par mois. Vous le savez mieux qu’un autre, Monsieur, si j’avais et si
j’ai encore des droits à réclamer ma liberté, vous m’encourageâtes dans mes demandes, vous me protégiez, j’allais respirer
l’air de la liberté, vous partîtes, je suis esclave. On n’a pas voulu me laisser le droit de choisir mon avocat,
et en voyant celui que la cour m’a désigné, celui de mon adversaire, je devinai mon sort. C’est donc à vous que je m’adresse comme au seul homme
qui daignait s’intéresser à moi, c’est depuis [illisible] de
Maurice que je vous fais entendre ma voix pour vous demander
si fils d’une Indienne libre qui avait séjourné en France, je
puis être compté au nombre des esclaves sans qu’on viole
toutes les lois, toutes les institutions qui font la sauvegarde
du pays que vous habitez, dont je suis moi-même, car je suis
né [illisible] d’un colon français et je suis fils d’un
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