Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
Vom Netzwerk:
un DOSSIER NON CLASSÉ, les mots étaient soulignés et en gras ; ce dossier était en principe non communicable, il n’avait pas encore fait l’objet d’un
classement quatre ans après son acquisition aux enchères à
Drouot. En consultant ces documents, j’ai été stupéfait : j’ai retrouvé SEPT LETTRES SIGNÉES FURCY . Je n’osais y croire, je suis
resté de longues minutes sans pouvoir les lire, ni chercher à le
faire. J’étais comme abasourdi. J’ai juste regardé plusieurs fois
sa signature pour être sûr que les lettres étaient bien de lui.
J’avais le sentiment d’avoir enfin retrouvé la voix de Furcy,
retrouvé sa parole : c’était un peu de silence qui se brisait
devant moi. À ma connaissance, cette correspondance constituait le premier témoignage direct d’un esclave en France, l’un des rares
en tout cas. Bien sûr, j’ai pensé que quelqu’un d’autre aurait
pu les écrire pour lui. Je suis aujourd’hui certain que non : il
savait écrire, ces lettres lui ressemblent, et, au bout du compte,
même s’il les avait dictées, elles sont à la première personne.
C’est sa voix. Elles sont remarquables, ces lettres, superbement bien
tournées, avec application, du style et de la culture. À leur
lecture, j’ai découvert un autre Furcy, toujours vigoureusement déterminé à recouvrer sa liberté — extrêmement déterminé même —, mais j’y ai vu aussi un homme responsable,respectueux, conscient de ce que Boucher avait réalisé pour
lui, un homme patient et qui n’avait pas peur de l’adversité.
Un homme qui n’hésitait pas à demander un service à l’occasion, et qui s’était constitué un formidable réseau pour y
arriver. La première lettre, courte, est envoyée de Saint-Denis. Furcy
informe Boucher qu’il a perdu son procès contre Lory. Toutes
les autres lettres portent la mention « Port-Louis, île Maurice ». Dans le dossier des archives, elles portent les numéros
provisoires de 69 à 74 (elles ne sont pas toutes numérotées).
L’une d’entre elles est expédiée le 1 er juillet 1821 et Boucher
l’annote « Reçue le 1 er février 1822 ». Le procureur général se
trouvait alors à Bastia. Furcy a une patience sans limites et un savoir-faire certain car, de Port-Louis où il est tenu sous le joug de la famille
Lory, il réussit à suivre la carrière chaotique de Gilbert Boucher ; celui-ci, après Saint-Denis, a été nommé à Bastia, puis
Paris, Bordeaux, Poitiers.... C’est incroyable le réseau que l’esclave a mis en place pour se tenir informé ; il n’a visiblement
pas de difficultés à connaître les nombreuses adresses de l’ancien procureur général de Bourbon ; parfois il passe par un
membre de la famille du magistrat qui transmet une lettre,
ainsi prend-il contact avec le beau-frère de Boucher ; d’autres
fois il recourt à un ami ou à sa propre famille, son neveu par
exemple. J’ai réussi à reconstituer une partie du parcours de Gilbert
Boucher sur près de trente ans. Il n’est jamais resté plus de
deux ans dans une même ville, le plus souvent il tenait une
année, puis il s’en allait. Avant Bourbon, où il est resté de
juillet à décembre 1817, c’était déjà le cas. Ce natif de Seine-et-Oise avait commencé sa carrière en Italie, à Parme, commesubstitut du procureur. Il y avait vécu douze mois à peine.
Ensuite, il s’était installé à Florence, Arezzo puis Rome, toujours comme substitut — trois postes en deux ans ! Il rentre en
France à l’âge de trente-deux ans mais il ne se fixe pas pour
autant ; il est avocat général à Orléans, une seule année en
1814, puis à Paris, en 1815. Je ne sais comment il décroche le
titre de procureur général, fonction qu’il exerce à Joigny puis à
Auxerre, la même année, en 1816 ! Ensuite, il rejoint Bourbon
et ce n’est pas un poste glorieux, les îles étant réservées aux
éléments récalcitrants de la magistrature, ou à ceux qui ont de
la famille sur place. Après son « renvoi » de Bourbon, on expédiera Boucher en Corse, à Bastia. Tiens, cette fois, il y restera
près de quatre ans... À partir de 1823, je perds sa trace, et je ne
la retrouve qu’en 1830, date à laquelle il est nommé à Poitiers.
J’ai aussi déniché son adresse à Paris : il habitait, rue de Bondy,
au numéro 23. C’était une petite rue près de la porte Saint-Martin, une voie modeste et peu éclairée ; seul le restaurant
Deffieux qui organisait des

Weitere Kostenlose Bücher