L'affaire de l'esclave Furcy
que des bruits fomentés pas loin de cette auguste
assemblée disent que tous les hommes naissent libres et égaux.
Mais si vous respectez la loi, Furcy est sans droit à réclamer
une liberté qu’il ne tient ni de son état ni de sa disposition, pasplus que de la volonté de feue Mme Routier, sa propriétaire.
Les magistrats de la cour d’appel de Bourbon avaient raison de
rejeter l’appel de Furcy. Les magistrats de Bourbon ne se sont
pas laissé distraire par la terreur abolitionniste. » L’avocat de Joseph Lory déroula ensuite tous les arguments
de la cour d’appel. Cela dura plus de vingt minutes qui semblèrent interminables à cause du ton monocorde volontairement choisi par l’avocat. Sur chaque texte qu’il évoquait pour
démolir les arguments de Furcy, il soulignait avec précision la
loi de référence et sa date d’application. Pendant l’exposé,
Furcy ne marqua pas la moindre émotion. On croyait que l’avocat en avait terminé avec son accusation
qui ressemblait à une défense, c’était sa stratégie, Lory devait
apparaître comme la victime. Il resta debout, si bien que l’assistance s’en étonna. Le président attendit quelques secondes,
puis il s’adressa à lui : « Maître, avez-vous quelque chose à ajouter ? » L’avocat hésita, reprit sa respiration, puis, dans un souffle, il
murmura : « Oui, monsieur le président. — Maître Moreau, gardez la parole, dit le président. — Merci monsieur le président. Pour défendre Furcy, ses
avocats ainsi que feu le procureur Gilbert Boucher ont invoqué une ordonnance du roi, celle de mars 1739, qui stipule que
les Indiens constituent un peuple libre. Or, je me suis longuement plongé dans les règlements, vous le savez, j’aime la
précision. » Il montra alors un ensemble important de feuillets et un
épais volume dont on ne distinguait pas le titre. Puis, il affirma,
comme si les mots étaient imparables : « Les Indiens qu’ils désignent sont ceux d’Amérique, pas
de l’Indoustan. » Tous les regards se fixèrent sur l’avocat. Il ne marqua pas
un instant de pause, ne voulant pas quitter le fil de sa démonstration. « L’erreur du demandeur en cassation vient de ce qu’il
confond les hommes des Indes proprement dites, c’est-à-dire
des Indes orientales, avec les indiens d’Amérique. Chacun sait
qu’ils sont connus sous le nom d’Indiens. Lisez l’excellent Abrégé géographique et vous comprendrez tout. Ce sont des
Indiens d’Amérique dont l’ordonnance a voulu parler, pas du
peuple dont est issu le nommé Furcy. La preuve, je vous rappelle que l’esclavage dans les colonies orientales a été reconnu
par diverses ordonnances jusqu’en 1792. Madeleine, la mère
de Furcy, était donc esclave avant cette date. Son enfant ne
peut prétendre à être un homme libre. » Là, encore, toute l’assistance leva la tête, chacun se demandant si c’était un coup de bluff minable ou une attaque de
génie. Le président lui-même resta bouche bée, puis se ressaisit en tirant sur sa robe. « Je vous remercie, maître. Nous
allons maintenant écouter maître Thureau, le demandeur en
cassation. »
33
C’était au tour de Thureau, il remercia le président. Dès le
début de sa plaidoirie, Thureau rappela que Furcy était libre de
naissance, et par un concours de circonstances — la mort de sa
mère alors qu’il avait trois ans —, on lui avait fait croire qu’il
était esclave. C’était l’époque qui voulait ça, on pouvait se
retrouver sous le joug d’une famille sans savoir d’où l’on
venait. On ne savait d’ailleurs rien, absolument rien, du père
de Furcy. L’avocat expliqua le droit. C’était à peu de choses près les
mêmes argumentations que celles qui avaient été données à la
Cour royale de Bourbon : la mère de Furcy, étant arrivée en
France, devenait libre quelle que soit son origine. Il rappela la
remarquable plaidoirie de Godart Desaponay en le regardant
— ils avaient préparé le procès ensemble — et martela la
maxime : « Nul n’est esclave en France. » Thureau enchaîna vite en se tenant debout, bien droit, sans
chercher d’effet de manche. Sa voix était assurée, la diction
fluide. Il dit : « Ainsi, messieurs, ce que je viens vous demander, c’est la
liberté d’un homme ! Ce que je viens invoquer en son nom, ce
sont les principes les plus sacrés du droit naturel, les maximesles plus anciennes et les plus glorieuses de notre droit
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