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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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C’était un homme déterminé. Ainsi,
son extraordinaire combat juridique se terminait-il à Paris.
Après vingt-sept années d’entêtement. Il était pourtant libre à
Maurice. Grâce à ce document, j’étais sûr d’une chose : Furcy était
vivant le 6 mai 1840, et il se trouvait à Paris au moment de son
jugement par la Cour royale (après le renvoi en cassation).
Vous ne pouvez pas imaginer mon bonheur quand j’ai lu au
milieu du compte rendu du procès cette phrase anodine : « et
aujourd’hui, arrivé en France, présent à l’audience... ». Ce
n’était que la deuxième fois que je retrouvais une « trace »
physique de lui. J’ai pourtant lu et feuilleté plusieurs milliers
de pages, dont des centaines de documents officiels. Ses« empreintes » étaient éparpillées un peu partout, dans ces
archives mises aux enchères à Drouot, à la BNF, à Aix-en-Provence ; j’en ai retrouvé aussi dans les Annales maritimes. La plaidoirie était d’une telle densité, elle était tellement
fascinante que je la voyais se dérouler devant mes yeux. Il régnait une atmosphère solennelle dans cette enceinte où
la hauteur de plafond obligeait à lever les yeux vers le ciel. Il
n’y avait pas grand monde. Étaient présents le comte de Portalis, qui officiait en tant que président, et Boyer, le vice-président. Bérenger servait de rapporteur. Dupin était le procureur
général. Godard Desaponay, l’avocat qui avait signé une plaidoirie magistrale lors du procès en appel avait tenu à être présent en tant qu’observateur. C’est lui qui avait maintenu le
contact avec Furcy et le conseillait dans ses démarches ; il lui
disait toujours : « Faites une copie de votre document officiel,
et confiez l’original au notaire. » Il avait aussi tenté de l’aider à
se marier. Se trouvaient également Broé Peit, Miller Bryon,
Renouard et Legonidec (le beau-père de Gilbert Boucher qui
continuait de suivre l’affaire). Maître Thureau défendait Furcy.
Maître Moreau représentait son client, le plaignant Joseph
Lory. Furcy était là, il avait fait le voyage de l’île Maurice grâce
aux dons de quelques amis, et à l’argent qu’il avait gagné. Sa
main gauche tenait soigneusement un vieux papier : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le président Portalis était conscient de l’enjeu de ce procès.
Il pensait que c’était pour vivre ces moments-là qu’il avait
épousé la carrière de magistrat, contre l’avis même de sa
famille. Il ne se jugeait pas assez ambitieux pour envisager la
diplomatie, car cette activité avec ses mondanités l’aurait
empêché de se réfugier tous les soirs dans sa bibliothèque dontil disait, non sans une certaine fierté, qu’elle représentait le
monde dans lequel il aimait voyager. Le comte de Portalis se
délectait des récits de voyage des autres. Ainsi connaissait-il
bien l’île Bourbon et l’île Maurice sans jamais y avoir mis les
pieds, il les connaissait à travers les textes de Bernardin de
Saint Pierre et de Bory de Saint-Vincent. Il savait qu’un certain Pierre Poivre, agronome de son état, avait apporté là-bas,
clandestinement, le clou de girofle et des plants de muscadier,
et qu’il était devenu par la suite gouverneur des deux îles. Il
avait particulièrement aimé le Voyage autour du monde écrit
par le navigateur Bougainville. D’ailleurs, Diderot s’en était
inspiré pour écrire, en 1773, un dialogue mémorable qui
condamnait le colonialisme. C’était en pensant à tout cela qu’il
commença par quelques mots simples. « Messieurs, je voudrais que ce procès de renvoi en cassation se déroule dans le respect mutuel. Chaque partie est bien
entendu libre d’avancer ses arguments, mais je serai intolérant
avec les paroles blessantes et les coups bas. » Puis il donna la parole à l’avocat de Joseph Lory, un certain
Moreau qui avait une réputation de fin procédurier et d’excellent connaisseur des règlements coloniaux. L’affaire de l’esclave Furcy était sans doute celle qui lui avait causé le plus de
soucis, aussi il l’avait soigneusement préparée en tenant
compte du contexte politique et des lois existantes. Il attaqua
d’emblée, sans transition ni formules de politesse. « Messieurs, je vois très bien où vous voulez en arriver.
Mais je vous demande de respecter le droit. Rien que le droit.
Je vous demande de chasser ces idées révolutionnaires de vos
esprits. Je sais

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