L'affaire du pourpoint
que d’être assujettie.
Le silence s’installa. Mew et Wylie paraissaient éberlués, comme si la reine s’était mise à discourir en grec ou en turc. Elle laissa échapper un rire flûté, puis ajouta d’un ton suave :
— Je dois prendre époux, me répète le Conseil, mais comment choisir ? Je crains qu’un prince étranger n’amène ses hommes d’armes sur notre sol, mais même si j’épouse un Anglais, qu’est-ce qui m’assure qu’il n’en fera pas autant ?
Le chat malicieux avait sorti ses griffes et labouré Dudley et de Quadra. Un rien crispé, l’ambassadeur conserva un visage impassible, toutefois les joues de Dudley s’empourprèrent. Tous deux devaient se demander comment Élisabeth savait que si elle épousait son Maître des écuries, et que le pays se rebellait à cause des ragots qui entouraient la mort de sa première épouse, Dudley pensait réclamer à Philippe d’Espagne une armée pour le soutenir, lui promettant en retour de restaurer la foi catholique. Ils devaient aussi se demander si elle savait que Dudley était allé jusqu’à prier de Quadra de soumettre l’idée au monarque espagnol.
Eh bien, si Dudley avait jamais été considéré comme un époux possible (j’avais des raisons de penser le contraire), cette récente découverte sonnait le glas de ses espérances. Il resterait peut-être le favori de la reine, tel un animal familier, mais le titre de prince consort lui avait échappé.
Je ne le plaignais pas. Son offense était trop grave. Mon oncle et ma tante avaient toujours suivi l’ancienne religion et, quand j’étais enfant, ils avaient assisté à l’une des premières exécutions sur le bûcher ordonnées par Marie Tudor. J’avais refusé de les accompagner et ils ne m’y avaient pas obligée (craignant que je ne les embarrasse en montrant de la compassion envers un mécréant), mais, à leur retour, ils s’étaient délectés à me décrire le supplice. Cela, je ne le leur avais jamais pardonné et ne le pardonnerais jamais.
Si, pour nourrir ses ambitions, Robin Dudley consentait à faire revenir ces jours terribles, je ne le lui pardonnerais pas non plus.
Beaucoup de dames d’honneur de la reine soupiraient après lui, mais pas moi. Je n’avais guère plus de bon sens pour autant, car Matthew œuvrait lui aussi au retour de Marie Stuart et du catholicisme dans notre pays. Et alors que je me tenais sur l’estrade, je m’interrogeais : en quoi différait-il de Robin Dudley ?
Un moment, j’hésitai, me demandant si j’avais eu raison de lui écrire, si ce n’était pas une folie de quitter la cour d’Élisabeth pour me rendre en France et lier mon sort à un partisan de Marie Stuart. À cet instant, j’aurais voulu de tout mon cœur que Gerald vécût encore. Mais mon époux, désormais, était Matthew.
Rien qu’à penser à lui, je croyais le voir resurgir devant moi : grand, maigre, les épaules larges, le menton allongé et des yeux en amande, sombres sous de noirs sourcils. Et c’était comme si mon esprit s’efforçait de bondir hors de mon corps pour le rejoindre, par-delà les terres et l’océan, au château de Blanchepierre, dans la vallée de la Loire.
Non. Je ne reviendrais pas sur mon choix. J’abandonnerais la cour, cesserais de me mêler des secrets d’autrui. Je ne trahirais ni l’Angleterre ni la reine, comme Dudley s’y était montré prêt ; j’irais mener ma propre vie aux côtés de mon époux et de ma fille. De cela, sans doute, on ne pouvait me blâmer.
La reine s’était tue et semblait attendre. Cecil eut un geste d’impatience et Mew, comme se rappelant une leçon, ploya un genou en terre et présenta le coffret brillant à la souveraine.
— Si Vot… Votre Majesté consentait à accepter ceci, j’en serais honoré.
Par-dessus la tête courbée de Mew, Élisabeth croisa le regard de Cecil, qui acquiesça d’un signe du menton.
— Avec plaisir, messire Mew, répondit-elle, et, prenant le coffret d’une main, elle lui tendit l’autre à baiser.
Le page, resté à proximité, vint escorter Mew vers la sortie. Cecil se préparait lui aussi à prendre congé quand il m’aperçut. Pendant qu’Élisabeth actionnait la petite boîte à musique sur la requête de Katherine Knollys et de Jane Seymour, il vint me parler.
— Mon épouse vous envoie ses bons vœux et se réjouit de vous voir demain, Ursula.
Je le remerciai. Certaines de mes compagnes sourirent, car elles savaient que
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