L'affaire du pourpoint
fauteuil en bois sculpté qui semblait revenir de droit au maître de maison. Mew s’était affalé sur un tabouret, comme s’il se sentait à son désavantage même chez lui. Dans le silence, Wylie finit de ranimer le feu et Matthew alla fermer les rideaux, sous le regard froid de Wilkins. Une fois de plus, j’eus conscience d’une sourde hostilité entre eux.
J’étais heureuse que Brockley fût auprès de moi. Je le connaissais mieux que Matthew, à bien des égards. Il avait part à ma vie quotidienne. La fatigue m’accablait. Combien d’heures encore, avant l’aube ?
Je cherchais le moyen de rester seule avec Matthew, de l’avertir. Il pourrait alors informer les autres du danger ; cette décision-là lui appartenait. L’idée de les alerter moi-même m’insupportait. Enfin, je disposais d’un peu de temps ; les secours n’arriveraient pas avant le matin. Même en supposant que le Dr Forrest eût réagi sur le coup, son messager aurait une longue route à parcourir avant qu’on pût réunir des renforts.
« Si seulement, songeais-je fiévreusement, je trouvais un moyen, non de parler à mon mari en privé, mais de le détacher des autres, de le retourner contre eux, afin qu’il discerne leur vrai visage et les abandonne… »
Le salon, où il faisait meilleur maintenant, semblait sorti d’un rêve. Dans la lueur des chandelles, nos ombres étaient immenses et déformées. À chacun de nos gestes, elles glissaient sur les murs lambrissés et l’unique tenture, une autre étoffe peinte, sans la moindre valeur.
Je réfléchissais aux relations qui tous nous unissaient, complexes, labyrinthiques : mari et femme, maîtresse et valet, prisonniers et geôliers ; une bande de conspirateurs… Wilkins était prêtre et docteur en théologie – dans quel dessein un théologien s’associait-il avec un horloger ? Comment définir un tel rassemblement de traîtres ? Des traîtres mal assortis…
D’un sursaut, je surmontai ma somnolence. Ce n’était pas le moment de dormir, mais la nature avait failli prendre le dessus. Brockley s’exprimait de sa voix habituelle, et ce fut pour moi un réconfort.
— Je suppose que c’est le chien qui vous a alerté.
— Oui, je l’ai entendu aboyer. Je ne pouvais dormir tant je m’inquiétais, répondit Matthew, les yeux rivés sur mon visage.
— J’ai gaspillé du bon poulet à cause de lui, remarquai-je.
Cela le fit sourire, rien qu’une fraction de seconde, mais durant ce bref instant ses yeux en amande pétillèrent et les petites rides dessinées par le rire se creusèrent, au coin de ses paupières. Ce sourire-là avait hanté mes rêves.
Désespérée, je m’apprêtais à dire : « Matthew, nous devons parler en privé ! », quand Wilkins me prit de vitesse.
— Que cela vous plaise ou non, Matthew, votre épouse et son serviteur ne partagent pas notre foi et en savent beaucoup trop long sur nos plans. Ils ont vu la cave. Vous ne le contestez pas, tout de même ?
— Vos plans, pas les miens, rectifia Matthew. Et qu’importe ce qu’ils ont découvert ? Ils n’ont eu aucune occasion de le répéter. Ursula, j’ai encore peine à croire ce que je sais de toi. La nuit dernière, j’ai pensé devenir fou d’inquiétude. Mais en même temps, je ne cessais de m’interroger à ton sujet. Qui es-tu ? Quelle sorte de femme ? Quelle espèce d’épouse ? Mais peut-être n’est-il pas trop tard pour te tourner vers moi et vers Dieu. Je t’aime toujours.
Sa voix rude trahissait la souffrance et le conflit intérieur. L’entendre ainsi me brisait le cœur. Il poursuivit :
— Tu dois venir en France, maintenant. Le choix ne t’appartient plus. Nous pouvons encore trouver un moyen de faire venir ta fille. Où est ta femme de chambre ?
— Dale ? À Lockhill. Elle ne sait rien, ajoutai-je fermement, excepté que j’ai l’intention d’aller en France avec toi. Elle croit que Brockley n’a entrepris qu’une course banale. J’ai jugé qu’elle serait davantage en sécurité.
— Tout à fait exact, intervint Brockley, me soutenant. Dale et moi sommes mariés. Je veux la protéger.
— Bien. Ursula, tu écriras à ta femme de chambre en incluant une note pour ceux à qui tu as confié Meg. Tu exprimeras la volonté que Dale t’amène la petite. Dis-lui de se rendre sur la côte, chez mon ami, le pêcheur du Sussex qui nous fera traverser la Manche. Je vais te dicter les indications. Apportez une plume et
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