L'affaire du pourpoint
Stuart. Mais vos complices sont mus par un autre dessein.
« L’argent sera infiltré dans le commerce grâce à l’acquisition de tapisseries, de tentures et autres objets précieux, ou en persuadant des dupes d’en faire l’achat pour vous. Ces biens divers vous appartiendront donc, à vos amis et à vous. Sans nul doute, vous vendrez les vôtres et reverserez l’argent en faveur de notre cause, mais je me demande si tous vos associés agiront de même ou s’ils se contenteront de l’empocher.
Le silence qui suivit parut assourdissant. On eût dit que, jusqu’à ce moment, les conspirateurs formaient un front uni et que Matthew venait d’y jeter une pierre, comme au milieu d’une vitre qui se craquelle alors dans toutes les directions. Plus qu’une poussée vigoureuse, et elle volerait en éclats.
Brockley, qui l’avait compris, fit de son mieux pour porter le coup final. Il lança à Wilkins :
— Peut-être ce projet était-il le seul moyen que vos complices avaient trouvé pour vous délester du trésor, mon ami !
Durant le silence stupéfait qui s’ensuivit, Wilkins fixa Mew et Wylie comme s’il les voyait pour la première fois. Alors le jeune homme éclata de rire.
— Comment avez-vous deviné ? demanda-t-il à Matthew.
— Cela s’appelle réfléchir, répliqua froidement mon époux.
Wylie déclara avec bonne humeur :
— Nous avons mis la main sur une bonne part du butin, et pourvu que ces deux jolis pigeons n’aillent pas roucouler à l’oreille de Cecil, nous finirons tous riches.
— Vous… !
Le ton venimeux de Wilkins avait de quoi terrifier, et Mew se mit à trembler sur son tabouret. Wylie, toutefois, resta imperturbable.
— Vous ne pouvez nous accuser d’hérésie et nous envoyer au bûcher. Vous ne pouvez non plus nous dénoncer sans vous discréditer. Votre projet tient toujours. Sachez vous en satisfaire et laissez-nous nos bénéfices. Nous les méritons.
— Vous méritez une modeste commission. Quant à cela, j’en conviens, répondit Matthew. C’est un complot lamentable, mais il est si avancé qu’autant aller jusqu’au bout. Il pourrait produire un résultat. Élisabeth a exprimé clairement sa volonté d’améliorer la monnaie. Cela aura au moins l’avantage de la tourner en ridicule.
Je ne dis mot. Mon front palpitait. Je savais qu’il était vain de décrire les horreurs – la guerre civile, la chasse aux hérétiques – que déchaînerait l’accession au trône de Marie Stuart. Nous en avions déjà débattu en octobre dernier ; Matthew ne comprenait pas, ne comprendrait jamais. Il ne pouvait croire que les Anglais, au fond de leur cœur, n’aspiraient pas au catholicisme. Son esprit se grisait de la noble vision d’une Angleterre restaurée dans ce qui était, à ses yeux, une foi simple et authentique. Sa vive intelligence n’y pouvait rien changer ; cette vision était tel le défaut dans un diamant de la plus belle eau.
Matthew était bon et Wilkins cruel, toutefois le prêtre était pénétré de la même conviction, acharnée autant que naïve. Toute tentative de les raisonner l’un ou l’autre serait vouée à l’échec.
Matthew avait repris la parole :
— Nous tirerons avantage de l’œuvre accomplie. Et, assurément, un taux de commission sera défini et versé. Mais tout objet de prix qui aura été acquis devra être revendu au profit de Marie Stuart. C’est moi qui ai recueilli ces fonds, je ne veux pas qu’un seul penny aille dans une bourse privée. Je dois retourner en France. À mon départ, je laisserai l’affaire entre vos mains, mais prenez garde ! Quand Marie remontera sur le trône – et ce jour viendra : Dieu y pourvoira –, vous pourriez être appelés non à toucher une récompense, mais à rendre des comptes.
« Non pas deux complots, mais un seul depuis le début », pensai-je. Comment Mew, prospère et timide, s’était-il laissé entraîner là-dedans ? Crichton y était-il mêlé, en définitive ? Et qu’avait au juste entendu Dawson, pour perdre la vie ? La pensée fugitive qui m’était venue dans le bureau de Mason, quand j’avais vu le nom du colporteur gravé sur le plateau, continuait à m’échapper.
Cependant, j’avais deviné que la fausse monnaie était au cœur du complot principal, ainsi que sa destination. La facture, l’achat de tapisseries assorti d’explications mensongères m’avaient permis d’échafauder une théorie, désormais
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