L'affaire du pourpoint
dit Ann. Par bonheur, ils n’ont rien vu de tout cela. Ils reviendront bientôt. Je dois décider de ce qu’on va leur dire.
Elle remarqua soudain qu’elle tenait toujours les ustensiles de ménage.
— Oh, comme c’est stupide ! Je me suis précipitée lorsque j’ai entendu les cris et que j’ai vu passer l’ombre de cette machine. Je ne me suis même pas arrêtée pour les poser. Regardez, Ursula, ne trouvez-vous pas cela curieux ? Je parcourais la maison pour m’assurer que Jennet avait fait le ménage correctement, ce matin. Elle est parfois très négligente. Je suis entrée dans la chambre de Crichton car elle était supposée la nettoyer avant le déjeuner. Et regardez ce que j’ai trouvé par terre !
Elle tendit la pelle, qu’elle avait tenue instinctivement de sorte à ne pas en renverser le contenu. Les balayures étaient intactes : de la poussière, des miettes de massepain et plusieurs petites brindilles vertes.
— Elles proviennent d’un if, continua Ann. Crichton critiquait les massifs, l’autre jour. Je suppose qu’il a tenté de les tailler lui-même et que ces aiguilles se sont prises dans ses vêtements. Je n’aime pas en trouver dans la maison, car elles sont vénéneuses. Une vache de la ferme s’est introduite dans notre jardin, l’an dernier ; elle est morte de convulsions après avoir brouté un if. Elle n’a même pas senti que c’était dangereux pour elle.
— Des brindilles d’if ? Ann, ce fameux jour où Crichton a contrarié Edwin Logan… Il s’était fâché contre les garçons, n’est-ce pas ? Et, de colère, il avait quitté la maison ?
— Oui. Pourquoi ? s’enquit-elle, perplexe.
— Je suis rentrée en fin d’après-midi. Vous m’avez dit, je crois, que vous veniez de voir le Dr Crichton dans le jardin d’ifs. Sortait-il à l’instant ?
— Oh, non ! Cela s’était produit beaucoup plus tôt. J’ignore où il était entre-temps. Est-ce important ?
— Crichton enseignait le tir à l’arc aux garçons, dis-je pensivement. Je ne crois pas l’avoir jamais observé. Était-il habile ?
— Certes, quoique un peu moins depuis son accident au pouce. Ursula, où voulez-vous en venir ?
J’en venais à Crichton, alerté par le message de Wylie et poussant les garçons à bout afin d’avoir un prétexte pour les quitter. À Crichton, s’esquivant son arc à la main puis, caché par les coteaux, les haies et les boqueteaux, venant guetter mon retour. Par chance, grâce à la maladresse de Leonard Mason, il n’avait pu tirer droit. Nous nous étions attardés en route, discutant de ce que Brockley devrait faire une fois à Windsor. Crichton, furieux et déçu, avait eu tout le temps de regagner Lockhill et de signaler sa présence en allant et venant dans le jardin d’ifs, et en ennuyant le jeune Logan.
Cependant, il ne s’était pas borné à cela.
— Ann, dis-je, ces événements sont terribles, mais gardez courage. Leonard vous reviendra sain et sauf. Je suis convaincue de son innocence, et je crois que vous venez de me fournir une nouvelle preuve en sa faveur.
Je savais, désormais, qui avait tenté de m’empoisonner.
Avant de quitter Lockhill, je vérifiai juste un détail supplémentaire. J’allai ouvrir les coffres de la longue salle et examinai leur contenu. Dans l’un, je trouvai les traits aux pointes simples que les garçons utilisaient pour s’entraîner, mais dans l’autre, je découvris des flèches très différentes, souvenirs d’un temps pas si ancien où les chefs militaires préféraient les arcs longs aux armes à feu. Ces flèches meurtrières avaient la même pointe barbelée que celles qui avaient failli nous tuer, Brockley, Dale et moi alors que nous revenions de Windsor.
Quelle chose étrange que, tous trois, nous eussions été sauvés grâce aux folles théories de Mason sur les machines volantes, et au pouce tuméfié de Crichton !
Et quel crève-cœur, de penser que je devais aussi à Matthew d’avoir la vie sauve ! C’était parce que je l’attendais, cette nuit-là, que je n’avais pas bu la tisane contenant une dose mortelle d’extrait d’if.
CHAPITRE XXIII
Le jouet brisé
— Une excellente issue, approuva Cecil. Aucun mal n’avait encore été commis. Il semble que les achats réalisés par Crichton et Wilkins furent payés pour partie en bon argent, afin de voir quels marchands examinaient les pièces de grande valeur, lesquels se contentaient de vérifier
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