L'affaire du pourpoint
Il quitta l’abri et j’entendis les verrous coulisser dans leur gâche.
Je gravis l’échelle et courus le long de l’étroit rebord, au péril de ma vie, pour tambouriner à la porte en hurlant. Je n’obtins pas de réponse. M’interrompant, j’entendis du bruit sur le ponton extérieur, à droite des grandes portes par où sortait la barge lorsqu’elle était utilisée. Des rames s’éloignèrent dans un bruit d’éclaboussures. Charon était parti.
En vain, je martelai la porte de mes poings et appelai à l’aide, par intervalles, avant de renoncer et de regagner la barge.
Celle-ci était grande, ornée de peinture et de dorures, et bien aménagée avec des sièges lustrés que j’imaginai garnis de coussins quand on sortait le bateau. Il était sans doute conservé là pour l’hiver. Il comportait un petit canot, complet jusqu’aux rames, qui avait été placé à bord. La plupart des sièges surmontant des coffres, j’entrepris de les inspecter et d’examiner le pont à la recherche de compartiments de rangement au-dessous. Il devait bien y avoir des outils quelque part, sur un tel bateau ! Peut-être trouverais-je un marteau, un ciseau, voire, avec beaucoup de chance, une hache, qui me permettrait de fracasser cette porte.
Quant à la nécessité de m’échapper, elle ne faisait pour moi aucun doute. Je ne croyais pas un instant qu’on me conduirait à Matthew. Il n’eût jamais permis qu’on me traitât ainsi, pas même dans la colère que lui avait inspirée ma trahison l’an passé. Oh, certes, il avait été furieux ! Sa première lettre me l’avait montré, mais elle m’avait aussi redit son amour. De plus, je le connaissais. De telles méthodes n’étaient pas dans son caractère.
Je trouvai la nourriture, comme mon ravisseur l’avait annoncé. On m’avait fourni une miche de pain, du bacon et une belle part de fromage, complétés par deux grosses outres d’eau. On m’avait aussi laissé une bonne provision de charbon pour le brasero. Il semblait que je pouvais m’attendre à un séjour prolongé dans l’abri.
Je ne découvris ni marteau, ni ciseau ni hache, toutefois je possédais un canif ; je retournai à la porte pour voir si je parvenais à glisser la lame dans l’interstice et à déplacer les verrous. Quelques instants suffirent à me démontrer la futilité de cette entreprise. Avançant avec précaution, je longeai le rebord sur son pourtour, en quête d’une autre issue, d’une autre porte, d’une faille dans les planches du mur ou même dans le toit, à supposer que je parvienne à y monter. Rien. Abattue, je rebroussai chemin jusqu’à la barge.
Je me sentais transie. Au moins, je disposais du brasero et des couvertures. J’allumai l’un et m’enveloppai dans les autres. J’en étais réduite à attendre. On avait dû remarquer mon absence, cependant je n’espérais aucun secours. Comment aurait-on su où me chercher ?
Je mangeai avec parcimonie, car j’ignorais combien de temps mes vivres devraient durer. J’étais trop alarmée pour avoir faim, de toute façon. Me nourrir était juste un moyen de m’occuper.
J’avalai les dernières miettes quand, une fois de plus, j’entendis des rames, puis le bruit que l’on fait en débarquant d’un bateau. Tendue, je repoussai les couvertures et me levai. Des pas faisaient le tour vers l’arrière de l’abri. Il n’y avait qu’une seule personne. Charon ? Matthew ? Cela pouvait-il, après tout, être lui ?
Le cœur battant, je fis face à l’entrée. Les verrous furent tirés. La lumière du jour se déversa par l’ouverture.
Roger Brockley entra avec méfiance, l’épée au poing. Le dos contre la porte, il scruta les ténèbres en plissant les yeux.
— Brockley ! m’exclamai-je, stupéfaite, en m’accrochant à l’échelle. Brockley, je suis là ! Comment avez-vous réussi à me trouver ?
Sa main, solide et amicale, m’aida à franchir le sommet de l’échelle.
— Madame, tout va bien ?
— Oui, oui ! Oh, Brockley ! Je suis si heureuse de vous voir ! Mais, encore une fois, comment avez-vous… ?
— Remettons les questions à plus tard, madame. D’abord, déguerpissons !
Brockley s’expliqua en ramant vers Whitehall, alors que la marée descendait et que le reflux nous emportait.
— Ça ne me plaisait pas que vous partiez toute seule comme ça. Non, ça ne me disait absolument rien qui vaille. Dès le début, je me suis méfié à l’idée que
Weitere Kostenlose Bücher